Adieu Maître Jacques


Rue du Conservatoire adresse ses plus vives pensées et condoléances  à sa famille, à ses proches et tous ses élèves

Jacques Sereys a été professeur au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique.

 

Nous avons l’immense tristesse de vous annoncer le décès de Jacques Sereys, sociétaire honoraire de la Troupe.
Disparu dans la soirée du 31 décembre 2022 à l’âge de 94 ans, Jacques Sereys était d’abord entré dans la Troupe en 1955 en tant que pensionnaire.
Nommé sociétaire en 1959, il décide de quitter la Maison cinq ans plus tard mais, fait exceptionnel, y revient en 1977, à nouveau pensionnaire donc avant d’être nommé une seconde fois sociétaire en 1979. Cette fois il restera dans la Troupe jusqu’en 1997 et en deviendra alors sociétaire honoraire.
« Nous perdons une grande figure de notre Maison, un des derniers de cette génération exceptionnelle qui a tant fait rêver notre public et tant fait pour la réputation de notre théâtre. J’ai eu le bonheur de le croiser lorsqu’il a repris magnifiquement le Dom Luis du Dom Juan dirigé par Jacques Lassalle. Après son départ en 1997, nous avions eu le plaisir d’applaudir son extraordinaire talent de conteur, au Studio-Théâtre et au Théâtre du Vieux-Colombier, à l’occasion de plusieurs seuls-en-scène. Nous perdons un acteur extraordinaire et un homme doué d’une très grande gentillesse. L’élégance est un trait de caractère qui revient toujours lorsqu’on évoque la figure de Jacques. La représentation du 15 janvier prochain, date de l’hommage de la Troupe à Molière, lui sera dédiée. »
Éric Ruf, administrateur général de la Comédie Française.

 

Jacques Sereys naît à Saint-Maurice (Val-de-Marne) le 2 juin 1928.

En 1942, il a 14 ans et vit alors à Marseille, au-dessus d’un entrepôt de parfumerie. N’ayant jamais connu son père, il est élevé par des femmes. Sa grand-mère a été cuisinière dans des maisons bourgeoises. Sa mère est devenue brodeuse, un art qu’elle a appris des religieuses. Le quotidien est modeste. Les Japonais ont attaqué Pearl Harbor, Orson Wells vient de réaliser Citizen Kane, Carné signe Les Visiteurs du soir et Lubitsch tourne To be or not to be. Il a 14 ans et on l’appelle Jacky. Il veut aider sa mère alors il décide de travailler au Crédit Lyonnais : il se fait groom, gosse à tout faire – et fait tout – mais rien ne l’empêche de lire Proust, de rencontrer des artistes du dimanche qui le poussent à lire des poèmes, à en écrire, à en dire. Le gamin devient lecteur, le lecteur devient conteur et veut apprendre le métier d’acteur.

En 1947, il débarque dans la capitale. À 19 ans, il a lu ses classiques, perdu son accent et entre au Conservatoire national supérieur d’art dramatique en 1951 dans la classe d’Henri Rollan. Dès lors, il travaille, lit, apprend. Il en sort avec deux Premiers prix de Comédie classique et moderne.
Il entre à la Comédie-Française en 1955, est nommé sociétaire en 1959.

On le voit dans le répertoire : Molière (les maîtres à danser et de musique, Trissotin, Géronte des Fourberies de Scapin…), Marivaux (Frontin de La Méprise, le Marquis du Legs, Hortensius de La Seconde Surprise de l’amour), Musset (On ne saurait penser à tout, L’Âne et le ruisseau), Corneille (Le Menteur)… mais il joue aussi Feydeau (Le Dindon, Feu la mère de Madame, Un fil à la patte), crée Outourou dans le Supplément au voyage de Cook de Jean Giraudoux, dont il reprend le rôle du mendiant dans Électre, monte Un roi, deux dames et un valet de François Porché où il se signale dans le rôle de Bontemps. Outre cette dernière pièce, il met en scène Marivaux (La Méprise, Les Sincères, Le Legs), Musset (L’Âne et le ruisseau) et Molière (Sganarelle ou le Cocu imaginaire), paraît dans des rôles plus dramatiques dans Coriolan de Shakespeare et Elizabeth la femme sans homme d’André Josset.

Néanmoins, en 1965, il veut tenter autre chose et quitte la Comédie-Française pour la comédie musicale et le théâtre de boulevard. Pendant douze ans, il va jouer Sauvageon, Mithois, Jamiaque, Husson, Feydeau, Guitry, Roussin (dont un grand succès, Nina) et même Sartre (Nekrassov), et mettre en scène des pièces aussi diverses que la comédie américaine Un dimanche à New York, Judith de Giraudoux, L’Aiglon d’Edmond Rostand, et, au Portugal, Caligula de Camus.

Il revient à la Comédie-Française comme pensionnaire en 1977. Ses performances successives dans Doit-on le dire ? de Labiche, où il campe un personnage chaplinesque à la verve étourdissante, dans Vadius des Femmes savantes, dans Narcisse de Britannicus, et dans la Trilogie de la Villégiature où il fait une composition de fantoche piqueassiette pleine de nuances et de sous-entendus, luivalent, fait exceptionnel, une nouvelle accession au sociétariat en 1979.

Il met sa technique virtuose et sa présence comique au service de rôles classiques : Bazile du Barbier de Séville, le Maître de philosophie du Bourgeois gentilhomme, Chrysalde de L’École des femmes, Monsieur de Pourceaugnac dans la pièce du même titre, Monsieur de Péréfixe dans Port-Royal de Montherlant, Félix dans Polyeucte de Pierre Corneille. Il est aussi l’un des truands à transformations de La Tour de Babel d’Arrabal, prête son ironie au Chiffonnier de La Folle de Chaillot de Giraudoux, fait le chanteur-acrobate dans Les Plaisirs de l’Ile enchantée montés par Béjart, dans le rôle de Pancrace et de Marphurius du Mariage forcé. Il compose le caricatural marquis sans le sou de La Locandiera, le Comte Lasca dans L’Impressario de Smyrne, Ottavio dans La Serva amorosa de Goldoni, Majorin dans Le Voyage de Monsieur Perrichon, une amusante silhouette dans La Dame de chez Maxim, Duchotel de Monsieur chasse de Feydeau. Il est aussi de l’aventure du Balcon de Jean Genet, de La Vie de Galilée de Brecht par Antoine Vitez. Il poursuit son activité de metteur en scène au Français (Intermezzo de Giraudoux), ce qui ne l’empêche pas de monter des comédies sur les boulevards et de jouer – et chanter – le rôle de Ménélas dans La Belle Hélène d’Offenbach à l’Opéra-Comique.

En 1997, il décide de quitter la Comédie-Française et est nommé sociétaire honoraire, ce qui lui permettra de revenir régulièrement se produire dans la Maison jusqu’en 2014.

Au cinéma, Jacques Sereys traverse les écrans du Feu follet et du Souffle au cœur de Louis Malle, d’Une histoire simple de Claude Sautet, de La Chamade d’Alain Cavalier, de I comme Icared’Henri Verneuil, du Hussard sur le toit de Jean-Paul Rappeneau, du Bossu de Philippe de Broca, de Mon petit doigt m’a dit, de Pascal Thomas. Il est familier du petit écran, pour la série Au Théâtre ce soir, des feuilletons (Comment ne pas épouser un milliardaire, Les Thibault), ou des dramatiques.

Dans les années 2000, il monte des seuls-en-scène : subtil orateur, il interprète Du côté de chez Proust, puis Au soleil de Daudet, Cocteau-Marais, À la recherche du temps Charlus, Si Guitry m’était conté, tous dirigés par son complice Jean-Luc Tardieu.

En 2006, Jacques Sereys obtient le Molière du meilleur comédien pour son interprétation de Du côté de chez Proust puis, en 2015, le Brigadier d’honneur pour l’ensemble de sa carrière.
Il est commandeur dans l’Ordre des Arts et des Lettres et dans l’Ordre national du Mérite.

Collectionneur, Jacques Sereys a fait don d’une partie de ses collections à la société des Comédiens-Français, conservée à la bibliothèque-musée de la Comédie-Française.

Site Comédie Française  https://www.comedie-francaise.fr/fr/artiste/jacques-sereys

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *