DE LA PART DE SAMUEL CHURIN


À LIRE ET À DIFFUSER SANS MODÉRATION, l’analyse par Mathieu Gregoire de l’article 20 de la loi Rebsamen, prétendant “sanctuariser” les annexes 8 et 10.

Loi Rebsamen :
Le régime des intermittents est-il vraiment « sanctuarisé » ?

Selon le gouvernement et le député Jean-Patrick Gille, qui en est le maître d’œuvre, la réforme du régime des intermittents incluse dans la loi Rebsamen  comprend trois avancées « majeures ».

Première  « avancée »: la reconnaissance des annexes 8 et 10. Pour la première fois, ces « annexes » au règlement de l’assurance-chômage sont mentionnées dans la loi.

Seconde « avancée »: une nouvelle méthode de négociation dite de « subsidiarité » est mise en place pour « responsabiliser » les différents acteurs du secteur. Dans ce schéma, les négociateurs de l’assurance chômage (à l’échelle interprofessionnelle) n’ont plus la main sur l’intégralité du processus de décision. Les organisations des employeurs et des salariés du spectacle (échelle dite « professionnelle ») négocient le contenu des droits à l’indemnisation chômage des intermittents sous une double contrainte fixée par l’échelon interprofessionnel : une contrainte quantitative avec un cadrage « budgétaire » c’est-à-dire une enveloppe ou une trajectoire financière ; une contrainte qualitative avec un cadrage sur le contenu même des droits qui devront respecter des principes fixés par l’assurance-chômage. Si les négociateurs des secteurs du spectacle ne parviennent pas à un accord, le niveau interprofessionnel reprend la main. S’ils parviennent à un accord respectant la double contrainte de budget et de principe, cet accord est adopté.

Troisième « avancée majeure » : un comité d’expertise « indépendant » est mis en place qui aura pour tâche de vérifier la conformité des propositions aux contraintes et d’aider les organisations à calibrer leurs propositions.

Que penser de ces supposées « avancées majeures » ?

Passons rapidement sur l’intérêt d’un comité d’experts indépendant. Il est vrai que l’expérience de la concertation précédente a montré que les chiffrages de l’Unedic pouvaient beaucoup évolué (de plusieurs centaines de millions d’euros) lorsqu’ils étaient confrontés à une expertise contradictoire. Mais, il reste que ce sont les services de l’Unedic, qui sont tout sauf indépendants, qui jouent et joueront le rôle prédominant. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la loi parle d’un comité d’experts indépendant (sans « s ») et non d’un comité d’experts indépendants (avec un « s »): c’est le comité qui est indépendant pas les experts !

L’intérêt de la « reconnaissance » dans la loi de l’existence des annexes 8 et 10 est, quant à lui, d’ordre symbolique. Il correspond pour l’essentiel à des objectifs de communication politique. Comme le disent explicitement Jean-Patrick Gille ou François Rebsamen, il s’agit d’apaiser, de faire en sorte que « les festivals se déroulent ». Pour ce faire, le gouvernement et ses soutiens parlementaires ne lésinent pas sur l’emphase dans leurs éléments de langage : on « grave dans le marbre de la loi » ! On « sanctuarise » !

Évidemment les mots et les symboles sont importants. Mais nommer les choses, fût-ce dans la loi, ce n’est en rien les protéger. Les intermittents, pas plus que les autres allocataires de l’assurance chômage, ne se nourrissent de mots et de symboles. Et ils s’en satisferont d’autant moins qu’il y a, en réalité, un décalage profond entre les déclarations de « sanctuarisation » et la réalité d’un texte qui ne donne pas de garantie effective aux intermittents faute d’avoir osé modifier, ne serait-ce qu’à la marge, le rapport de force entre le MEDEF d’un côté, et les salariés intermittents du spectacle de l’autre. Au contraire, ce projet de loi confirme et amplifie une dynamique d’autonomisation des annexes 8 et 10. Il correspond de fait à la reconnaissance par la loi d’un droit pour le Medef d’exclure encore davantage les intermittents de l’assurance chômage, de constituer à côté de l’assurance chômage un régime spécial voire une caisse autonome.

Le Medef et ses partenaires pourront d’abord user de la contrainte qualitative, c’est-à-dire du « respect de principes généraux applicables à l’ensemble du régime d’assurance chômage » mentionné dans la loi, pour rejeter les propositions faites par les intermittents depuis 2003, en particulier leur revendication d’une logique d’indemnisation à « date anniversaire ». Mais c’est surtout l’usage de la contrainte budgétaire qui donnera un avantage déterminant au Medef. La loi n’empêchera en rien l’organisation patronale de parvenir aux objectifs qu’elle poursuit depuis trente ans : exclure de fait les intermittents du spectacle de la solidarité interprofessionnelle propre à l’assurance chômage pour les cantonner dans une caisse professionnelle financée par les seules cotisations du secteur. Le cadrage budgétaire imposé par l’échelon interprofessionnel n’empêchera par exemple en rien que soit imposé un fonctionnement de type « caisse professionnelle » : il suffirait pour cela que le MEDEF et ses partenaires fixent pour principe de cadrage financier que les allocations soient du même niveau que les contributions. Or c’est précisément contre cette menace d’une caisse autonome (synonyme d’exclusion de fait du régime d’assurance chômage et de sa logique de solidarité interprofessionnelle) que les intermittents n’ont de cesse de se mobiliser depuis le mouvement social de 1991-1992.

Même s’il n’en venait pas à cette extrémité, on imagine mal que le Medef change tout d’un coup de perspective et décide d’un cadrage « généreux » pour le régime des intermittents. Le scénario est cousu de fil blanc. Le cadrage financier sera nécessairement régressif. Que feront alors les employeurs du spectacle ? Accepteront-ils de négocier dans un cadre financier restrictif ? De pendre leurs salariés intermittents (ou une partie d’entre eux) avec la corde tendue par le Medef ? Il y a fort à parier qu’ils n’aient pas envie de prendre cette responsabilité. Mais le Medef a toute latitude pour organiser le chantage et promettre « pire » si c’est lui qui est obligé, à l’échelle interprofessionnelle, de faire le « sale boulot ». L’enjeu de la « responsabilisation » voulue par la loi Rebsamen est moins de savoir si l’on va sacrifier ou non les droits au chômage des intermittents que de savoir qui va assumer ce rôle. On comprend que les employeurs du secteur aient quelques réticences.

Assez ironiquement, le Medef n’est pas demandeur d’un tel dispositif et montre quelques signes d’inquiétude. Ce n’est certes pas le sort des intermittents en tant que tel qui lui pose problème mais le précédent que crée cette loi. Comme l’ont martelé, à juste titre, les sénateurs et députés des Républicains, on sort pour la première fois un secteur particulier du principe de solidarité interprofessionnelle fondateur de l’assurance chômage. On n’a jamais été aussi proche  d’un régime spécial ou d’une caisse autonome : des règles spécifiques, une instance spécifique de négociation de ces règles, et un budget propre dont on finira – à coup de stigmatisation de « déficits abyssaux » – par obtenir qu’il soit équilibré par ses seules ressources propres. Le précédent pourrait faire des émules, en particulier pour les secteurs qui sont excédentaires en cotisant davantage qu’ils ne « produisent » de dépenses pour l’assurance chômage, et qui pourraient demander à leur tour un budget spécial, des règles spéciales et un organe décisionnaire spécial. Si cette perspective se généralisait, l’assurance chômage deviendrait un simple organisme de distribution d’« enveloppes » aux différents secteurs. Même si l’hypothèse est assez théorique, elle pose la question des principes fondamentaux de l’assurance chômage : ce qui est en jeu c’est le principe de la solidarité interprofessionnelle qui est au cœur de l’identité de cette assurance sociale et de sa viabilité économique.

In fine, la volonté du gouvernement de sanctuariser les annexes 8 et 10 est-elle sincère ? On peut en douter. Un amendement déposé au Sénat par les sénateurs verts et communistes puis repris à l’Assemblée Nationale par les députés verts et par une députée socialiste, Fanélie Carrey-Conte, aurait permis de donner quelques garanties, d’une part, aux intermittents et, d’autre part, à ceux qui s’inquiètent du recul du principe de solidarité interprofessionnelle et de l’avènement d’un régime spécial. L’idée en était simple : il s’agissait de « cadrer le cadrage » en affirmant que les dépenses liées à l’indemnisation des intermittents devaient suivre la trajectoire des dépenses du régime général. Si des efforts étaient demandés à tous, les intermittents devaient y contribuer à même proportion. Autrement dit, cet amendement rééquilibrait un peu le projet de loi en y instillant une dose de solidarité dans ce schéma général d’autonomisation du régime des intermittents du reste de l’assurance chômage. Il visait à prévenir le danger d’un glissement de l’indemnisation des intermittents vers un régime spécial. Ce faisant, il évitait deux écueils symétriques. D’une part, il empêchait que les intermittents servent de variable d’ajustement des comptes de l’Unedic. Autrement dit, il visait à empêcher qu’on sacrifie les intermittents et qu’on les prenne comme boucs émissaires comme c’est trop souvent le cas lorsqu’on les stigmatise comme des privilégiés qui se nourrissent sur le dos des autres chômeurs. Mais, d’autre part, cet amendement empêchait aussi une désolidarisation inverse toujours possible : celle d’un achat de la paix sociale par la préservation de droits corporatistes en cas de réforme d’ampleur des droits des chômeurs. Ne rien toucher au « régime spécial » des intermittents permettrait en effet d’attaquer les droits des chômeurs du régime général ou ceux des intérimaires dans une relative sérénité politique et sociale dans la mesure où les intermittents constituent l’essentiel des forces de contestation possibles. Les régimes spéciaux pour les salariés turbulents – on le sait bien avec les retraites des cheminots – ont cet immense avantage politique qu’on peut tour à tour les stigmatiser comme des privilèges indus, et les préserver lorsqu’il s’agit de réformer le régime général sans faire de vagues.

Mais l’amendement déposé par les verts et par Fanélie Carrey-Conte a été rejeté sur avis très défavorable du gouvernement au milieu de la nuit du mercredi 8 juillet par une Assemblée Nationale presque vide. Et le débat n’aura pas eu lieu : le député Jean-Patrick Gille, qui était rapporteur sur cet article 20 de la loi Rebsamen, était absent. Mais, qu’on se rassure, Christophe Sirugue, le rapporteur de l’ensemble de la loi, l’a certifié : si Jean-Patrick Gille avait été présent, il aurait eu des arguments.

Mathieu Gregoire

Sociologue, Maître de conférences à l’Université Paris Ouest Nanterre

Lire le blog de mathieu-gregoire : loi-rebsamen-le-regime-des-intermittents-est-il-vraiment-sanctuarise

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