DE THEATRE ?
Une autre enquête, celle de Dominique Cardon du laboratoire Orange Labs, montre que quatre générations de spectateurs fréquenteraient les salles de spectacles:
– Les frustrés de l’école : ce sont les spectateurs nés avant la seconde guerre mondiale qui n’ont pu accéder aux études supérieures en raison du conflit ou de la modestie des ressources familiales. Ils constituent le fondement du public vilarien, de la première décentralisation, et continuent à fréquenter les théâtres, même très âgés.
– Le public de la contre culture : il regroupe les enfants des précédents, dont la rupture avec la culture patrimoniale, quoiqu’on ait pu le penser en 1968, n’a jamais été consommée. Ce sont de grands spectateurs, tous arts confondus, qui ont une vision politique et militante de l’art et de la culture.
Ces deux publics se retrouvent à Avignon où « 82% des spectateurs du festival Off sont des enseignants », confirme Pierrette Dupoyet, comédienne, metteur en scène et vice présidente d’Avignon AF & C. Cette statistique est à la fois réjouissante, – les pédagogues ont à cœur de transmettre la culture à nos enfants-, et effrayante ! N’y aurait-il que les enseignants pour avoir envie de découvrir des œuvres contemporaines ?
Les deux autres publics sont en rupture avec les précédents :
– Le public tv : il rassemble les personnes nées dans les années 70/80, en même temps que l’expansion des chaînes privées et publiques. Il se caractérise par une grande consommation de télévision et a tendance à fréquenter les spectacles validés par les medias. Il est davantage infidèle et volatile que les deux publics précédents. Sa culture est moins patrimoniale et se caractérise par une absence de fondation politique. Elle est un bien de consommation et un marqueur social ou générationnel.
– Les digital natives : nés dans les années 90 et au delà, ces publics négligent la télévision et se connectent sur le net et les réseaux sociaux pour accéder à la culture (visionnage de films, musique, vidéos, etc.) qu’ils peuvent aussi télécharger. Ils ne fréquentent des spectacles qui confortent leurs goûts, ceux de leurs réseaux et sont mus par la nouveauté, l’étrangeté, internet, ce qui n’exclut pas des choix très radicaux et même très politiquement engagés.
La difficulté est donc de réunir ces publics très segmentés et que l’on ne voit ensemble que lors de spectacles de notoriété nationale ou internationale. Pour le programmateur, au pouvoir de rassembler et de redessiner le cercle imaginaire des spectateurs populaires, s’est peu à peu substitué au fil des années, le public repéré, y compris parfois en fonction de son quartier ou de sa ville de résidence. La connaissance de celui-ci alimentera les bases de données de la structure et soutiendra les subventions et leur légitimité. Dans cette culture de l’évaluation et de la gestion politique, le public n’est plus cette assemblée digne des Grecs anciens, prompte à recueillir la parole du poète et à la faire croître en lui. Il est désormais un vecteur dont le marketing peut se servir. On peut ainsi tout craindre d’un marketing prescripteur des œuvres à venir qui constitue, comme l’écrit Gilles Deleuze dans Pourparlers, « l’instrument du contrôle social et forme la race impudente de nos maîtres ».
Faut-il le regretter ? Sans céder au pessimisme, la meilleure connaissance des publics, ainsi que le travail en direction de ceux qui sont éloignés pour des raisons géographiques, financières ou culturelles, participe de cette idée qui fondait les politiques de Jean Zay, Jeanne Laurent, Jean Vilar et des pionniers de la décentralisation : le théâtre service public. Ce projet ne pourra perdurer qu’en maintenant une exigence artistique radicale dans le choix des spectacles et leur partage sans l’inféoder aux dispositifs d’une évaluation consommatrice et consummatrice.
Dominique Paquet
Actrice, elle mène parallèlement des études de philosophie : Alchimies du maquillage Chiron, 1989 ; Miroir, mon beau miroir, une histoire de la beauté, Gallimard, 1997, traduit en 10 langues ; La dimension olfactive dans le théâtre contemporain, L’Harmattan, 2005 ; Le Théâtre du Port de la Lune, Confluences, 2003. Chargée de cours dans plusieurs universités, co-directrice du Groupe 3/5/81, elle travaille à des adaptations de textes littéraires ou philosophiques, (Platon, Descartes, Onfray, Bayard) et écrit des pièces pour le jeune public : Les Escargots vont au ciel, (1997), Son Parfum d’avalanche (2003), Petit-Fracas (2005) aux éditions Théâtrales ; Un hibou à soi (1999, Manège éditions), Les Echelles de nuages, (2002), Cérémonies (2004), La Consolation de Sophie (2011) à l’Ecole des Loisirs, Un amour de libellule, Les tribulations d’une pince à glace, Général Courant d’air (2005) à L’avant-Scène/Les quatre vents), Passage des hasards (2006, Lansman), Les Cygnes sauvages, L’Ile des poids mouche, Retz) ; pour le tout public, Congo-Océan (1990, Chiron), La Byzance disparue (1994, Le bruit des autres), Cambrure fragile (2002, Comp’Act), Froissements de nuits (2002),Terre parmi les courants (2007), aux éditions Monica Companys, Nazo Blues (2001), Votre boue m’est dédiée (L’Amandier, 2006).
Lauréate de plusieurs bourses et prix, elle est actuellement déléguée générale des Ecrivains associés du Théâtre et codirectrice de l’Espace culturel Boris Vian des Ulis, Scène conventionnée jeune public et adolescent.
Actualité récente :
La Consolation de Sophie, théâtre philosophique pour le jeune public vient de paraître à l’Ecole des Loisirs, en collection théâtrale.
Une pièce de Dominique Paquet, crée par elle-même dans le rôle titre, à l’Espace Culturel Boris Vian des Ulis (Essonne) en janvier 2010, jouée à la Scène Nationale de Cergy-Pontoise en avril 2011, Groupe 3.5.81, mise en scène Patrick Simon.
par Martine LOGIER, responsable des cartes blanches.