Emmanuel COURCOL (publication du 30 Avril 2017)

Du théâtre au cinéma…

On me demande régulièrement ce qui m’a poussé à passer à la réalisation. Depuis mes débuts à la Rue Blanche, j’ai connu la vie de comédien, les hauts et les bas, les fortunes diverses, les doutes… puis celle de scénariste, quitté peu à peu les planches et les plateaux, travaillé seul ou à deux dans le huis-clos de l’écriture… et puis voilà: ces images que je voyais en écrivant j’ai voulu les faire moi-même, aller au bout du geste, quoi! et voici ma troisième vie, celle de réalisateur, car je n’ai pas l’intention d’en rester là (j’écris actuellement mon “deuxième long”, avec Thierry de Carbonnières, vieux compagnon depuis l’ENSATT, ancien du Cons’, aussi… une histoire de théâtre en prison, j’y reviens toujours! au théâtre, hein, pas en taule). Bref me voici de retour sur un plateau, avec les comédiens, mes congénères, condisciples, confrères, consœurs que je retrouve enfin.

“Ça se passe en1923 à Nantes. Une femme essaye de marier son fils invalide de guerre, sourd-muet à une jeune veuve de guerre. Le frère, ancien combattant, débarque d’Afrique où il était parti fuir ses souvenirs de guerre. Le retour de cet homme en colère fait imploser la famille.” Telle est la trame d’une pièce que j’avais écrite dans les années 90, Au Bonheur des Invalides, donnée à plusieurs reprises en lecture publique mais jamais jouée et restée dans un tiroir.

Vingt ans plus tard, c’était le pitch du long-métrage que je proposais à Christophe Mazodier de produire. Mon “premier long”: un film romanesque qui nous emmènerait en Afrique, dans les tranchées, les Années Folles, la société française d’après guerre… Il fallait bien un producteur aussi audacieux pour oser se lancer dans une telle aventure. Aujourd’hui, Cessez-le-feu sort dans les salles, avec Romain Duris, Céline Sallette, Grégory Gadebois (tous deux anciens du Conservatoire) Julie-Marie Parmentier, Maryvonne Schiltz et toute une troupe de merveilleux acteurs venus du Théâtre, origine de mon histoire.

Cessez-le-feu est un film sur la résilience et le courage des hommes et des femmes qui ont essayé de surmonter ensemble ce que l’on a appelé bien plus tard le “stress post-traumatique”. Aujourd’hui reconnues et prises en charge, ces blessures psychiques invisibles ont hanté des millions de combattants revenus des tranchées, impacté autant de familles et marqué durablement toute la société française. Cette onde de choc s’est propagée jusqu’à nous dans des proportions que nous ne soupçonnons pas. C’est dans ma propre histoire familiale que j’ai puisé l’inspiration pour aborder cette période, à travers le souvenir d’un grand-père que je n’ai pas connu mais dont le souvenir était présent dans la maison de ma grand-mère, dans les récits de mon père. Le souvenir d’un homme poursuivi par ses cauchemars et les reviviscences de la guerre mais qui avait pu malgré tout reprendre le cours de sa vie d’instituteur puis de directeur d’école, fonder une famille, jouer du violon, aimer, être aimé, goûter les joies de la vie.

Si mon héros Georges n’est pas Léonce mon grand-père, c’est bien l’histoire de ce difficile retour à la vie que j’ai voulu aborder dans un film chatoyant au souffle romanesque. Ce voyage intérieur du héros vers la lumière est aussi un voyage géographique et temporel, aventureux, sensoriel, amoureux et poétique auquel j’ai voulu convier le spectateur à travers la photo de Tom Stern, le grand chef opérateur de Clint Eastwood à qui j’ai eu l’honneur de confier la photo, mais également les décors de Mathieu Menut et les costumes d’Edith Vespérini dans un souci de restitution minutieuse mais jamais ostentatoire d’une époque, sans oublier la musique de Jérôme Lemonnier et le travail de toutes ces équipes d’artistes et de techniciens qui ont œuvré.

A présent que le destin du film m’échappe, qu’il est entre vos mains, vos regards de spectateurs, quoiqu’il arrive, je sais qu’il me restera de cette riche aventure humaine ces milliers de rencontres, des cadors du métier au petit berger peul d’Aribinda, les danseurs masqués Bwabas, les figurants du Saloum et de Sindou, les Dozos, les poilus des tranchées de Marigné, les danseurs et musiciens de la rue de Trévise, les figurants, les petites mains, les renforts, tous ces anonymes d’un jour, ceux qui ont aidé, facilité, tous ceux qui ont aimé faire ce film avec moi. Et tous ces comédiens, surtout, du plus grand au plus modeste rôle, tous importants! Je les regarde, les choisis, les accompagne, les porte, les supporte, les encourage, les emmerde, les admire, les applaudis… les aime, tout simplement.

C’est pour ça que je suis devenu réalisateur.

Emmanuel Courcol

1981-1984  élève de l’ENSATT
Acteur Réalisateur Scénariste de nombreux films
« Toutes nos envies », « L’Equipier », « Tête baissée » « Boomerang » «Welcome » « Mademoiselle » et de « Cessez le feu »
Nomination au César du meilleur scénario original en 2010
pour «Welcome »
et  le prix Jacques Prévert pour ce même film.
Réalisateur d’un court métrage « Géraldine »
et du long métrage  «Cessez le feu ».
En court d’écriture pour son second long métrage

 

 

 

 

 

 

 

 

par Martine LOGIER, responsable des cartes blanches.

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