Ettore SCOLA


Une disparition particulière : le cinéaste italien des exclus, des gauchistes repentis et des désillusions nous a quitté ce 19 janvier à 84 ans

Lu dans lemonde.fr
Par Thomas Sotinel

Mort d’Ettore Scola, maître du grotesque et des regrets

Il avait dirigé les plus grands acteurs italiens, à commencer par Sophia Loren et Marcello Mastroianni dans Une journée particulière, présenté à Cannes en 1977, chroniqué les bouleversements de la société italienne depuis ses marges, comme le bidonville romain d’Affreux, sales et méchants (1976), et tiré parmi les premiers le bilan amer des désillusions de l’après Mai 68 dans La Terrasse (1980). Ettore Scola, maître du cinéma italien des années 1960 à la fin du XXe siècle, est mort, mardi 19 janvier, dans une clinique romaine, à 84 ans. « Son cœur s’est arrêté de battre par fatigue », ont annoncé son épouse et ses filles, citées par le Corriere della Sera.

Ettore Scola est né le 10 mai 1931 à Trevico, en Campanie. Sa famille s’installe bientôt à Rome, où il commence des études de droit tout en manifestant un intérêt pour le dessin satirique (des décennies plus tard, il exposera dans une galerie parisienne). Il collabore à la revue humoristique Marc’Aurelio, tout comme les scénaristes Age et Scarpelli ou Federico Fellini.

Sa vocation juridique cède définitivement le pas au cinéma au début des années 1950. Le jeune homme est d’abord scénariste. En douze ans, de 1952 à 1964, il collabore au script de dizaines de films, qui pour la plupart n’ont pas marqué l’histoire du cinéma, comme Deux Nuits avec Cléopâtre (avec Sophia Loren dans le rôle titre) ou Toto dans la Lune, variation cosmique des tribulations du comique napolitain. On retient quand même sa contribution aux scénarios des premiers grands films de Dino Risi, Le Fanfaron, Les Monstres ou La Marche sur Rome.

Enlisement de la société italienne

En 1964, il passe à la réalisation avec Parlons femmes, un film à sketches, comme c’était la mode à l’époque en Italie, dans lequel joue déjà l’un de ses interprètes d’élection, Vittorio Gassman. Suit en 1968 Nos héros réussiront-ils à retrouver leur ami mystérieusement disparu en Afrique ?, film d’aventure satirique tourné entre l’Italie et l’Angola, avec Alberto Sordi et Bernard Blier. Puis Drame de la jalousie (1970) le fait remarquer par la critique française, sensible au mélange de grotesque et de réalisme de cette histoire d’amour triangulaire située dans un quartier pauvre de Rome. Le film est interprété par Monica Vitti, Giancarlo Giannini et Marcello Mastroianni et vaut à ce dernier un prix d’interprétation au Festival de Cannes. Il réalise ensuite Permette, Rocco Papaleo ? (1971) et La Plus Belle Soirée de ma vie (1972), d’après La Panne, pièce de Friedrich Dürrenmatt, avec Michel Simon et Sordi.

A cette époque, Ettore Scola tourne des documentaires pour le Parti communiste italien, sur les fêtes de l’Unita, le quotidien du parti ou les luttes à la Fiat. En 1974, il connaît un succès international avec Nous nous sommes tant aimés, qui suit le parcours de trois amis – un avocat (Gassman), un professeur (Stefano Satta Flores) et un prolétaire (Nino Manfredi) – de la fin de la guerre aux années 1970. Le film met ainsi en scène l’enlisement de la société italienne dans le système démocrate-chrétien, tout en rendant hommage au néoréalisme de l’après-guerre. « Notre cinéma est toujours mêlé aux faits de la société italienne, nous avons hérité cela du néoréalisme : “Toujours suivre l’homme”, indiquait Zavattini. Même en changeant de langage, de style, je crois que le message est resté », explique alors le réalisateur dans un entretien accordé au Monde.
« Typologie de l’isolement, de la différence sociale »

Scola revient ensuite au grotesque, avec Affreux, sales et méchants, qui a pour décor un bidonville romain menacé par l’urbanisation galopante, et met en scène la cupidité de ses habitants, dominés par un tyran qu’incarne Nino Manfredi. Le film remporte le prix de la mise en scène à Cannes en 1976. Après une satire de la télévision (Mesdames et messieurs, bonsoir), il réalise ce qui reste son film le plus célèbre, Une journée particulière (1977). Il y raconte la rencontre, le 6 mai 1938, entre une ménagère romaine (Sophia Loren) et un intellectuel homosexuel persécuté par le régime fasciste (Marcello Mastroianni). En bruit de fond, la radio raconte une autre rencontre, entre Mussolini et Hitler. Le réalisateur aimait à rappeler qu’il portait l’uniforme des « fils de la louve », l’organisation enfantine fasciste, ce jour-là.

A Jacques Siclier, qui l’interrogeait dans les colonnes du Monde, Scola expliquait : « On fait toujours à peu près le même film. J’ai toujours été préoccupé par une typologie de l’isolement, de la différence sociale. Je ne pars pas d’un sujet, mais d’une idée que je transpose dans le grotesque et l’humour, car je trouve que c’est une façon noble et tragique de représenter les problèmes contemporains. » Mais pour les besoins de ce film, Scola se départit tout à fait de son humour sardonique. Peut-être pour compenser, il réalise la même année avec son complice Dino Risi Les Nouveaux Monstres, version actualisée, plus vulgaire, plus érotique, plus méchante, des Monstres de 1963.

Désillusions de la gauche italienne

Son film suivant, La Terrasse, est lui tout d’amertume. A travers les mondanités d’intellectuels romains (Mastroianni, Tognazzi, Gassman, Trintignant, Reggiani), Scola fait le portrait des désillusions de la gauche italienne. Ettore Scola est alors au sommet de sa gloire, italienne et internationale. Il est régulièrement sélectionné en compétition au Festival de Cannes et collectionne les trophées. Mais Passion d’amour (1981) et La Nuit de Varennes (1982), comédie historique autour de la tentative de fuite de Louis XVI, ne rencontrent pas le même succès.

Il reste un triomphe à venir, celui du Bal (1983), adaptation virtuose et muette d’un spectacle du metteur en scène français Jean-Claude Penchenat, qui met en scène des couples évoluant sur la piste d’un établissement populaire. Le film rassemble presque un million de spectateurs en France et est nommé à l’Oscar. Suivront encore neuf longs-métrages de fiction qui n’égaleront pas leurs prédécesseurs. Même la réunion de Jack Lemmon et Marcello Mastroianni dans Macaroni (1985), même le retour à la fresque historico-intimiste avec La Famille (1987) ne convainquent pas tout à fait. Le dernier film de cette série, Gente di Roma, sorti en France en 2004, a pour toile de fond les manifestations contre Silvio Berlusconi. Alors qu’il avait annoncé sa retraite, Ettore Scola a donné un dernier film, un documentaire présenté à la Mostra de Venise en 2013 intitulé Qu’il est étrange de s’appeler Federico, dans lequel Scola évoquait son aîné, son ancien collègue de Marc’Aurelio, Fellini.

Thomas Sotinel

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