HOMMAGE : GABRIEL GARRAN, UNE VIE AU SERVICE DE LA PAROLE VIVANTE – SAMEDI 29 OCTOBRE À 19H AU THEATRE DE LA COMMUNE
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Géographie française
de Gabriel Garran
(éd.Gallimard)
Longtemps avant qu’il ne fonde le Théâtre de la commune d’Aubervilliers, Gabriel Garran naquit Gabriel Gersztenkorn.Au début du livre, dans le Paris de la fin des années trente, le récit de son enfance ressemble à celle de n’importe quel autre titi parisien né avant-guerre. L’enfant savait que sa famille venait de Pologne mais il ne savait pas qu’il était juif (ses parents ne vont pas à la synagogue, parlent français à la maison). On va très vite le lui faire savoir. D’abord deux gamins qui à la sortie de l« école rue du Grenier-sur-l’eau (devenue rue des Justes) le traitent de “ sale juif ” et puis tout ce qui va s’en suivre Alors son récit, courant jusqu’à la Libération, devient une extraordinaire traversée, celle d’un enfant juif pendant l’Occupation.
Conformément aux dispositions nouvelles..
Première séquence forte au collège Turgot, rue de Turbigo à Paris, peu après la rentrée. Un “ Je-ne-Sais-Quoi ” entre dans la classe, donne un papier au professeur de lettres, lui demande de lire aux élèves et sort. “ Conformément aux dispositions nouvelles s’appliquant aux élèves des lycées et collèges…. ”. Suivent les noms dont celui de Gersztenkorn. Les élèves juifs désormais indésirables.
Le professeur outré mais obéissant fait sortir les élèves et dit à ses camarades de se lever pour leur départ, de ne jamais oublier “ que cela a eu lieu en France ”. Garran, n’a rien oublié. La séquence lui revient intact, au présent. Il se souvient jusqu’au nom du professeur, Louis Descourtieux.
L’histoire d’un enfant que l’on persécute parce qu’on le croit juif traverse la pièce “ Andorra ” de Max Frisch, la première pièce montée par Garran à l’ouverture du Théâtre de la commune d’Aubervilliers, une des rares allusions du livre à la vie future de son auteur.
Le père du petit Gabriel va faire partie de la première vague d’arrestations massive de juifs qui vont peupler les camps de Beaune-la-Rolande et Pithiviers. A son entreprise de tricots, on impose un gérant aryen. Quand, neuf mois plus tard, elle sort du camp de Pithiviers où elle a revu son mari pour la première fois, Maryam, la mère du petit Garran, s’affaisse dans le train, se fige, “ comme statufiée ” (catalepsie). On l’hospitalise. Gabriel resté seul avec sa sœur, grandit d’un seul coup.
“La prescience que je ne le reverrai jamais”
Le père, prisonnier au camp de Pithiviers, réussit à obtenir une permission. Il met ses enfants dans un train pour les éloigner de Paris et des rafles en attendant que la mère guérisse :
La silhouette de mon père s’amenuise s’estompe, disparaît, et soudain j’ai en moi la prescience que je ne le reverrai plus jamais. Et que peut-être lui aussi le sait.
Le père aurait pu fuir, ne pas revenir à Pithiviers. Sachant que sa désertion signifie représailles, il revient au camp. Ses camarades et lui finiront gazés à Auschwitz.
Du fond de son anéantissement, la mère se relève. Sans doute a-t-elle pressenti, elle aussi, que sa vie d’avant est morte, qu’elle est désormais, à elle toute seule, le père et la mère de ses deux enfants, Gabriel et sa sœur cadette Jeanne.
Une mère courage est née. Intuitive, lucide. Sentant une arrestation imminente, elle accourt, prend les enfants où elle les avait planqués, ensemble et souvent séparément, et les entraîne ou les envoie sans elle ailleurs. Une traversée de la France dans tous les sens qui donne son sens strict au titre du livre : Géographie française .
Le tour de la France occupée par deux enfants
D’abord Monthou-sur-Bièvre, puis Fontenay-sous-Bois chez un couple d’antifascistes italiens, les Lizzardi. Six mois plus tard la mère, sent le danger, les fait revenir précipitamment à Paris, peu après les Lizzardi dénoncés par une lettre anonyme, échappent de peu à l’arrestation. La vie est une somme de petits miracles.
Gabriel et sa sœur repartent avec leur mère et d’autres pour passer la ligne de démarcation qui sera supprimée le jour où ils la franchiront. Ils seront alors ballotés, de ville en ville. A Romans, Gabriel, petit homme, est trieur de clous dans une usine à chaussures, un peu plus tard le voici gardien de chèvres dans le Vercors ou encore livreur en triporteur qu’il délaisse un jour pour aller au cinéma (les livres et les films lestent son regard). Et ainsi de suite.
Autant d’épisodes ponctués de voyages en car, en train et de séjours discrets plus ou moins longs qui montrent des Français sous l’Occupation sous différentes facettes, des plus sales aux plus nobles, et cela à travers les yeux d’un enfant qui l’est de moins en moins.
“Encore belle et jeune”
Les pages les plus belles sont celle où l’octogénaire d’aujourd’hui restitue la femme de 37 ans, sa mère d’alors. Des dizaines d’années plus tard, IL l’enterrera en faisant graver sur sa tombe le médaillon de son “ visage d’alors ” et “ indélébile, l’étoile jaune de 1942, qu’elle portait sur le côté gauche de son corsage noir”.
Il la revoit, il est en face d’elle, elle est “ encore belle et jeune ”. Il parle d’elle éperdument au présent. Et quand le petit Gabriel est séparé de sa mère, c’est le Garran d’aujourd’hui qui hallucine le souvenir dont il n’a pas pu être le témoin, la montrant échapper de peu à une rafle à son domicile parisien alors que les enfants sont ailleurs :
Hébétée, elle n’est que souffrance, le ventre en charpie, la respiration perturbée, sa conscience détraquée. Spectre d’une mort frôlée.
Le mouvement de l’écriture aussi rouvre des pans entiers de la mémoire occultés que Garran croyait oubliés.
Vient le jour où on lui procure des faux papiers. Le voici jouant le rôle de Gabriel Marence. Le prénom est le même, mais Gersztenkorn est devenu Marence. Le nom de Garran a –t-il été formé à partir de cette mixture ? On le saura sans doute dans la suite de ces mémoires dont Gabriel Garran poursuit l’écriture quand il ne s’occupe pas de dénicher des textes inédits d’Adamov ou de mettre en scène Margot Abascal dans Je serai abracadabrante jusqu’au bout .
Pour se procurer l’ouvrage en ligne
https://www.babelio.com/livres/Garran-Geographie-francaise/562350
https://livre.fnac.com/a6446401/Gabriel-Garran-Geographie-francaise
GABRIEL GARRAN
Vient de nous quitter le 6 Mai 2022. Fidèle à Rue du Conservatoire, nous sommes nombreuses et nombreux à lui rendre hommage aujourd’hui, à saluer son combat artistique pour ouvrir les Portes de la connaissance, de la découverte et de l’acceptation d’une belle diversité contemporaine. Nous adressons à sa famille et ses proches nos sincères condoléances.
1 Biographie
1.1 Un enfant juif sous l’occupation
Gabriel Garran est le fils de Pejsach Gersztenkorn et de Myriam Katz, un couple de Juifs polonais qui ont émigré en France durant les années 1920. Son père était tricoteur à façons et ses parents possédaient un petit atelier rue de la Mare, dans le quartier ouvrier de Ménilmontant, où Gabriel grandit. Plus tard, la famille déménage pour s’installer rue François-Miron, dans le quartier du Marais. Élève brillant, Gabriel accède en au collège Turgot, en section littéraire. Mais peu après la rentrée scolaire, à la suite de la mise en place de la politique antisémite du régime de Vichy, Gabriel Garran et six autres enfants juifs de sa classe sont exclus de la section littéraire pour être réorientés de force dans la section commerciale. Le , Pejsach Gersztenkorn, le père de Gabriel fait partie des premiers Juifs raflés de Paris. Emprisonné au camp de Pithiviers, il mourra en déportation au camp d’extermination d’Auschwitz. Le , sa mère, Myriam, échappe de peu à la rafle du Vél’ d’Hiv’. Pendant ce temps, Gabriel, qui a treize ans, et sa jeune sœur Jeanne, sont cachés à Fontenay-sous-Bois au sein d’une famille d’antifascistes italiens. Puis, Gabriel, sa mère, sa sœur, ses deux tantes et son petit cousin entrent dans la clandestinité, passent secrètement la ligne de démarcation et commencent un périple à travers la zone libre, que Gabriel Garran raconte dans son roman autobiographique Géographie française1.
1.2 Le théâtre
Après-guerre, Gabriel Garran débute au théâtre par le biais de l’animation, où jeune animateur, il dirige les répétitions du groupe Espoir, mais ne se dit pas encore metteur en scène. Puis il s’inscrit à l’école du Vieux Colombier de Tania Balachova où il met en espace des lectures spectacles.
Gabriel Garran franchit le pas, il vend son appartement, fonde sa première compagnie, Théâtre Contemporain, et s’installe quelques mois au Théâtre du Tertre, avec On ne meurt pas à Corinthe de Robert Merle et Vassa Geleznova de Maxime Gorki.
Plus tard, il rencontre Maurice Pialat, Jacques Rozier, et l’assiste sur son film Adieu Philippine, puis apparaît dans sa vie Jack Ralite.
1.3 Le fondateur du Théâtre de la Commune
Gabriel Garran rédige un projet d’implantation d’un « théâtre populaire » aux portes de Paris. Dès 1961 à Aubervilliers dans la Seine-Saint-Denis, il organise un festival qui se déroule dans le gymnase municipal jusqu’en 1964. Avec l’aide de Jack Ralite, maire-adjoint d’Aubervilliers, il fonde le théâtre de la Commune d’Aubervilliers. La salle des fêtes est choisie pour accueillir le théâtre qui ouvre ses portes le .
En 1971, le théâtre de la Commune, premier théâtre permanent en banlieue et de radicalité contemporaine est promu centre dramatique national.
En 1985, il quitte Aubervilliers et fonde le Théâtre international de langue française, TILF, qu’il dirige jusqu’en 2004. Le TILF est un théâtre nomade qui se produit dans des lieux différents : Centre Georges Pompidou, théâtre national de Chaillot, MC93 Bobigny, théâtre de la Tempête, théâtre des Bouffes-du-Nord, et dans des festivals en France et à l’étranger.
En 1993, le TILF s’installe sur le Parc de la Villette au Pavillon du Charolais. Gabriel Garran lui donne pour mission de créer un répertoire reflétant la diversité des trajectoires de la langue française à travers le monde. « Nos rêves sont ceux de la figue, de la mangue, de l’érable et de la calebasse, des aspects de neige et de rivages. »[réf. nécessaire] Des auteurs d’Afrique Noire, du Maghreb et du Québec seront révélés au public français et connaîtront grâce à Gabriel Garran une nouvelle notoriété.
En 2005, Gabriel Garran lance le Parloir Contemporain2 avec pour axe continu la recherche contemporaine, francophone et féminine et pour objectif le point de rencontre entre littérature, théâtre et poésie.
En , il est renversé par un deux-roues en sortant du théâtre de la Ville. Sorti du coma, il met plusieurs mois à se remettre de ses multiples fractures.
Le , il est l’invité de Frédéric Mitterrand sur France Inter, à l’occasion de la parution de son récit autobiographique Géographie française3.
Toutes les archives de Gabriel Garran concernant la création et la vie du TILF sont conservées à la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges.
2 Cinéma
2.1 Assistant réalisateur
- 1962 : Adieu Philippine, film de Jacques Rozier
- 1962 : Janine, court métrage de Maurice Pialat
2.2 Réalisateur
3 Théâtre
3.1 Metteur en scène
- 1957 : Amphitryon 57 d’Herbert Le Porrier, théâtre de Lutèce
- 1958 : On ne meurt plus à Corinthe de Robert Merle
- 1959 : Vassa Geleznova de Maxime Gorki, théâtre du Tertre
- 1961 : La Tragédie optimiste de Vsevolod Vichnevski, Festival d’Art dramatique d’Aubervilliers
- 1962 : Baby foot de Robert Soulat, théâtre de Poche Montparnasse
- 1962 : L’Étoile devient rouge de Seán O’Casey, théâtre de la Commune, théâtre Récamier
- 1963 : Charles XII d’August Strindberg, Festival d’Art dramatique d’Aubervilliers
- 1964 : Coriolan de William Shakespeare, Festival d’Art dramatique d’Aubervilliers
- Théâtre de la Commune
- 1965 : Andorra de Max Frisch, théâtre Antoine
- 1965 : Les Chiens de Tone Brulin
- 1966 : L’Instruction de Peter Weiss
- 1967 : L’Opéra noir de Gabriel Cousin
- 1967 : Le Marchand de glace est passé d’Eugene O’Neill
- 1967 : Les Visions de Simone Machard de Bertolt Brecht
- 1968 : Ma déchirure de Jean-Pierre Chabrol
- 1969 : Off limits d’Arthur Adamov
- 1969 : Le Distrait de Jean-François Regnard
- 1970 : Comment Monsieur Mockinpott fut libéré de ses tourments de Peter Weiss, Maison de la Culture de Grenoble
- 1971 : Henri VIII de William Shakespeare
- 1971 : Auguste Auguste, Auguste de Pavel Kohout
- 1972 : La Bouche de Serge Ganzl4, Festival d’Avignon
- 1973 : Liolà de Luigi Pirandello
- 1973 : Le Quichotte Chevalier d’errance d’après Miguel de Cervantes, Festival d’Avignon, théâtre Gérard-Philipe
- 1974 : Les Vampires de Serge Ganzl, Le Grenier de Toulouse
- 1976 : Le Rire du fou de Gabriel Garran
- 1976 : Quatre à quatre de Michel Garneau, théâtre national de Chaillot
- 1977 : Le Météore de Friedrich Dürrenmatt
- 1977 : Coriolan de William Shakespeare, Festival d’Avignon
- 1978 : Le Pavillon Balthazar de Reine Bartève, Petit Odéon
- 1979 : Platonov d’Anton Tchekhov, théâtre de Nice
- 1979 : Vingt minutes avec un ange – Anecdotes provinciales d’Alexandre Vampilov, Festival d’Avignon
- 1980 : À cinquante ans elle découvrait la mer de Denise Chalem, Petit Odéon, TNP Villeurbanne
- 1981 : Histoires de la forêt viennoise d’Ödön von Horváth
- 1981 : Théâtre-portrait de Max Frisch de Max Frisch, Centre Georges Pompidou
- 1982 : Propos de petit-déjeuner à Miami de Reinhard Lettao
- 1983 : Noce d’Elias Canetti
- 1983 : Émilie ne sera plus jamais cueillie par l’anémone d’après Emily Dickinson, Festival d’Avignon
- TILF
- 1985 : Je soussigné cardiaque de Sony Labou Tansi, théâtre national de Chaillot
- 1986 : L’Homme gris de Marie Laberge, MC93 Bobigny, Petit Marigny
- 1987 : La Fille des dieux d’Abdou Anta Ka, théâtre Tristan-Bernard
- 1988 : Nuit d’amour de Patrick Delperdange et Anita Van Belle, théâtre 13
- 1989 : Le Bal de N’dinga de Tchicaya U Tam’si, théâtre de la Tempête, théâtre des Bouffes-du-Nord, théâtre Antoine
- 1989 : Aurélia Steiner de Marguerite Duras, théâtre de l’Odéon
- 1989 : Le Destin Glorieux du Maréchal Nikkon Nikku de Tchicaya U’Tamsi, Salle Boris Vian – Parc de la Villette
- 1990 : Fragments d’une lettre d’adieu lus par des géologues de Normand Chaurette, Salle Boris Vian – Parc de la Villette
- 1991 : Les jours se traînent, les nuits aussi de Leandre-Alain Baker, Studio des Champs-Elysées
- 1992 : Le Silence du quatuor Conrad de Claude Delarue, théâtre Hébertot
- 1993 : Les filles du 5, 10, 15 Cents de Abla Farhoud, Pavillon du Charolais, théâtre des Carmes Festival d’Avignon
- 1993 : Cahier d’un retour au pays natal de Aimé Césaire, Pavillon du Charolais
- 1995 : Ahmed Bouffetout de Yacoub Abdellatif, Pavillon du Charolais, théâtre des Carmes Festival d’Avignon
- 1997 : Bintou de Koffi Kwahulé, Pavillon du Charolais
- 1997 : Le Faucon de Marie Laberge, théâtre Déjazet
- 1998 : Jour de silence à Tanger de Tahar Ben Jelloun
- 1999 : Un barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras, théâtre Antoineen 2000
- 2001 : Le Ventriloque de Larry Tremblay
- 2002 : Prodige de Nancy Huston
- 2003 : Trente ans à peine de Jean-Claude Carrière, théâtre de Poche – Genève, Pavillon du Charolais
- 2004 : L’Homme poubelle de Matei Vișniec
PARLOIR CONTEMPORAIN – Nouvel opus théâtral: Théâtre, Littérature, Poésie
- 2004 : Les Enfants des héros de Lyonel Trouillot, théâtre du Lucernaire
- 2006 : Conversations après un enterrement de Yasmina Reza, théâtre Antoine
- 2007 : Louis Jouvet–Romain Gary 1945-1951 et Tulipe ou la Protestation de Romain Gary, théâtre Vidy-Lausanne
- 2010 : Louis Jouvet–Romain Gary 1945-1951 et Tulipe ou la Protestation de Romain Gary, théâtre de la Commune
- 2011 : Les retrouvailles de Arthur Adamov, Théâtre de La Tempête
- 2012-2013 : Je serai abracadabrante jusqu’au bout d’après le journal de Mireille Havet, Théâtre de La Tempête, Maison de l’Arbre chez Armand Gatti
4 Publication
- Géographie française, Flammarion, 2014
Excellent livre.
Merci pour l’article!
Merci beaucoup à Rue du Conservatoire pour cet article très fourni sur Gabriel Garran, aussi poète. D’autres lectures de ses poèmes édités sont à venir. Merci mon compagnon de route, tu es parti en paix, salut ton ami Philippe Adrien. Merci à vous deux. Margot