Il y avait une fois un petit garçon qui parlait au lustre de sa chambre. Il grimpait sur son lit, drapé dans une vieille couverture. Un édredon autour du cou pour figurer l’étole, il célébrait la messe, sa messe, réinventait le latin et dialoguait avec les anges. Le Christ lui souriait. La Vierge lui tendait les bras. Il aimait les rois de France du Moyen-âge, haïssait Saint-Louis, chérissait Jeanne d’Arc. Les fées surtout le fascinaient avec leurs ailes et leur chapeau pointu. Habillé de blanc, un costume hérité de sa mère qui admirait Sarah Bernhardt, il était l’Aiglon pour rejoindre Cyrano. Il leur parlait, les défiait. Maître des songes de fin d’après-midi, il se faisait victime et tombait épuisé dans la fraîcheur des draps et des oreillers. Il dialoguait avec lui-même, dans une quête solitaire et perpétuelle du bruit des mots qu’il inventait.
Les mots ! Les mots ! Les mots sonores, ronflants, comme les maillons d’une chaîne le ceinturaient jusqu’à l’étouffer. Sans le savoir, il inventait Victor Hugo et sa légende des siècles.
Parfois, dans la campagne, il escaladait les pentes pour mieux parler à la lune et à la première étoile. Mais bientôt le bruit des feuilles dans les arbres et les fantômes de la forêt le ramenaient à la maison. Le silence, avec ses spectres et ses pièges, le terrifiait. Il n’était plus le prince charmant. Les ronces ne s’ouvraient plus devant sa course, elles lui labouraient les genoux.
Cet enfant qui dessinait interminablement des princesses à hennin enfermées dans des châteaux crénelés, cet enfant qui croyait aux sortilèges je l’ai rencontré dans un roman ou dans une nouvelle. Peut-être était-ce moi ou un autre, je ne sais plus. Mais il m’a laissé au coin du cœur une marque indélébile : l’amour des mots jetés à pleine voix pour casser le silence.
Cet enfant a grandi. Les livres se sont amassés autour de lui, il a découvert la page blanche pour la couvrir de hiéroglyphes. Il voulait devenir poète.
J’étais engagé !
Mon premier vrai rôle : Mortimer ! Shakespeare, Henri IV, un délire, mon premier cachet, ma première nuit dans un hôtel de 3ème classe, la chambre toujours partagée, parfois dans le même lit, par souci d’économie, la troupe, l’amitié ! J’étais encore seul. Je fis connaissance. Nous devions jouer à Châteauneuf-en-Auxois, un château magnifique où j’allais revenir, dix ans plus tard, aux côtés de Marcel Maréchal.
La représentation fut catastrophique. Rien n’était prêt, ni les acteurs, ni les costumes, ni les éclairages. Jean-Marie Boeglin, le père de Bruno, lisait le rôle du roi, l’acteur titre, s’étant récusé la veille de la première. La majorité des grands critiques parisiens étaient dans la salle. Roger s’excusa à la fin de la représentation : « La pièce que nous venons de jouer devant vous était quand même de William Shakespeare ! ». Jean Bouise y créa, malgré tout, un Falstaff inoubliable.
A cette époque, les troupes étaient reçues à l’issue des spectacles, autour d’une table fastueuse. A cette occasion, j’ai fumé mon premier cigare. Tout était premier encore une fois. Ça ne faisait que commencer ! J’étais heureux, je vivais la grande vie. Déjà, sous les étoiles d’une somptueuse demeure médiévale, je retrouvais les châteaux de mon enfance.
Une aventure qui allait me broyer, me digérer, et me former au cours des treize années à venir. Le théâtre est un vampire. Il a tué le poète pour donner vie à quelque chose d’un peu monstrueux qui ressemble à un serviteur de ce même théâtre.
Quel parcours exaltant ! J’ai douloureusement et magnifiquement vécu les tâches les plus nobles comme les plus subalternes. Successivement et alternativement je fus régisseur, accessoiriste, machiniste, assistant metteur en scène, administrateur de tournées, balayeur de plateau, comédien, animateur. J’ai tout fait dans cette maison qui s’appelait le Théâtre de la Cité. Quelle école ! J’ai peu à peu appris à parler de mon travail et de celui de ceux qui m’entouraient. J’ai vécu plus de 1.000 prises de paroles dans les écoles, dans les usines, dans les théâtres. Je me souviens tout particulièrement d’une fin de représentation de L’Infâme où 300 scouts déchaînés, voulaient casser la gueule de l’auteur Planchon, suite à ce spectacle sacrilège. Nous avons tenu tête à l’émeute.
Quant à savoir comment ça marche ?
Après 38 ans de pédagogie, je ne sais toujours pas comment se fabrique un acteur. Peut-on expliquer le miracle de la vie ? Peut-on expliquer le poème ? Le chemin est très long pour apprendre à parler aux étoiles. Peut-être faut-il retrouver cet enfant qui croyait aux sortilèges ?

- Laurent Minier (16/06/09) : Bonjour,
Journaliste, j’ai eu la chance au travers d’un reportage pour “UBIK” France 5 que j’ai réalisé sur l’école du Studio Théâtre d’Asnières d’assister à un cours de ce grand Monsieur qu’est Jean-Louis Martin Barbaz. Il s’agissait de l’étude du “Soulier de satin” de Paul Claudel…J’ai été impressionné par son soucis du détail, le travail des intentions au millimètre qu’il donnait à ses élèves sur ce texte. Chaque mot pesé, chaque intention décortiquée. Fascinant ! Moi qui rêvait secrètement de théâtre…Ce moment privilégié a eu l’effet d’une révélation fantastique !
Depuis le virus a pris. A mon petit niveau je me suis lancé dans la production théâtrale.
Je veux dire que je ne rate jamais une présentation de nouvelles pièces du Studio Théâtre d’Asnières qui sont des bijoux d’exécution.
Bravo à Mr Jean-Louis Martin-Barbaz et Mr Hervé Van der Meulen, qui sont des orfèvres du Théâtre Français. - Marc Duret (16/06/09) : Cher Jean-Louis,
Merci pour ces mots d’antan qui ont réactivé ma mémoire, cette mémoire là, celle de Jean Bouise, Isabelle Sadoyan, tour à tour mes pères et mères de théâtre à l’époque du T.N.P. de Roger Planchon, et puis Claude Lochy et ses vins insolites que nous goûtions au détour d’un thème astral à la Lochy… Je sortais à peine du Conservatoire et j’avais été engagé par la troupe pour une pièce de Vampilov : “L’été dernier à Tchoulimsk” que nous avions créée à Villeurbanne, c’est d’ailleurs lors d’une soirée comme on en fait plus que Jean – on l’appelait Mac – m’avait raconté cette histoire que je souhaiterais partagé avec vous : Cela se passe dans les Trois Mousquetaires de Dumas, Jean Bouise joue le Roi de France et Caude Brasseur un des Mousquetaires – Brasseur entrait alors en scène et déclarait au Roi de France – Bouise : “Monseigneur la guerre est en Écosse” et le Roi de France de lui répondre : “Hé bien allez la faire. Mais ce fameux soir, Brasseur entra en scène et dit : “Monseigneur, la gosse est en équerre !” Et Jean Bouise le Roi de France de lui répondre : “Hé bien allez la faire !”
Tout une époque que je ne suis pas près d’oublier.
Merci à vous, Jean-Louis. - Isabelle Janier (17/06/09) : Oui, moi je voulais dire un grand bonjour à Jean-Louis qui a été mon professeur et qui, avec mes copains de l’époque, nous a préparés et fait rentrer au conservatoire. C’était époustouflant. Dans mon souvenir, on est au moins 7 ou 8 à être rentrés au Conservatoire la même année sur une quinzaine présentés.
J’avais présenté L’AMANT de Pinter – L’ECHANGE de Claudel ( Lechy )et Célimène – Molière
Je pense souvent à lui et je l’embrasse très fort.