LAVOIR MODERNE PARISIEN… LE FEUILLETON CONTINUE !


Menacé, ce lieu historique et culturel de la Goutte d’Or l’est depuis des années… Sa fin a maintes fois été programmée, mais le feuilleton n’est pas terminé !

La salle de spectacle du Lavoir Moderne Parisien, dans le 18e arrondissement de Paris, devrait fermer le 15 mai 2014. C’est sans compter avec la capacité de résistance de son animateur, la mobilisation des habitants et le soutien des pouvoirs publics. Entre problèmes financiers et mystérieux repreneur, retour sur un imbroglio politico-culturel.

Le Lavoir Moderne Parisien, c’est d’abord une scène de culture et de protestation incontournable du quartier de la Goutte d’Or, dans le 18e arrondissement de Paris. C’est aussi un repère historique rendu célèbre par Émile Zola. Dans L’Assommoir, c’est bien ici que Gervaise et ses copines blanchisseuses viennent laver leur linge sale en privé. QG du noyau dur des Femen et salle de spectacle engagée : ça bouillonne pas mal depuis 1986, date de l’ouverture, du côté du 35, rue Léon.

Une activité qui devrait pourtant cesser le 15 mai 2014, quand prendra fin le sursis accordé par la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, à l’association Procréart, qui sous-loue les lieux à une SARL du même nom. Laquelle louait les locaux à l’ancien propriétaire des murs. Aujourd’hui cette SARL est en liquidation judiciaire. Moyennant quoi l’association Procréart, se retrouve en état « d’occupant sans droit ni titre ».

Casse-tête financier et administratif

Car le Lavoir Moderne Parisien – ou LMP pour les initiés – c’est également un casse-tête financier et administratif, une vraie pelote de laine qui sera en partie dénouée le 31 mars 2014, à l’issue d’un délibéré qui devra déterminer l’expulsion ou non des actuels résidents, comme le demande le nouveau propriétaire des lieux. Les tracas commencent dès 2003. A cette date, le LMP, voit ses dettes s’accumuler suite à une procédure de redressement judiciaire sur assignation de l’URSAFF. Le théâtre est placé sous observation jusqu’en 2010, mais les dettes ne se résorbent pas, Nouveau redressement judiciaire, nouvelle période d’observation.

Et puis, en mai 2011, l’Inspection générale de la ville de Paris décide de jeter un œil au fonctionnement de l’association Procréart. Le rapport qu’elle publie sur l’administration du Lavoir Moderne est accablant : « Une gestion aléatoire et peu transparente de l’association », ainsi qu’une absence de paiement auprès de l’Urssaf, sont autant d’éléments rendus publics par l’Inspection. Sa conclusion est sans appel : elle conseille vivement à la ville de Paris de couper les subventions qu’elle octroyait jusqu’alors au LMP, 49 500 euros par an.

Grève de la faim et pétition

L’année suivante, la ville s’exécute. Mais sur ce point, la chargée de la culture à la mairie du 18e, Carine Rolland, tient à préciser : « Il est vrai que le rapport de l’Inspection générale fait état de graves dysfonctionnements. Mais la vraie raison pour laquelle la ville a cessé de subventionner le LMP, c’est que l’association était suspendue dans le vide par les redressements judiciaires successifs. On ne savait plus à qui donner l’argent ! » Hervé Breuil, président de l’association Procréart et directeur historique du Lavoir Moderne aura enchaîné les recours auprès de la mairie, en vain. À coups de grève de la faim et de pétition (32 000 signatures), il dénonce la hausse des loyers parisiens, responsable en grande partie selon lui des dettes du théâtre, ainsi que les choix de la Ville en matière de subventions culturelles.

Coup sur coup, à la mi-2012, la liquidation judiciaire de Procréart est prononcée et les locaux du 35-37 rue Léon sont vendus. C’est donc un entrepreneur immobilier qui récupère les lieux, à savoir la salle de spectacle en sous-sol, les habitations et l’immeuble mitoyen, insalubre. Le 14 février 2014, l’équipe du Lavoir Moderne remet symboliquement les clefs à la ministre de la Culture, lui signifiant ainsi qu’elle est la seule aujourd’hui, à pouvoir sauver la scène alternative. Fin de l’aventure ? Pas tout-à-fait, pas encore.

Conserver la vocation culturelle du lieu

Même si l’association semble vivre ses derniers jours, l’équipe nourrit quelque espoir pour que le lieu en lui-même perdure. Non classé aux monuments historiques, le Lavoir Moderne est cependant protégé par l’ordonnance du 13 octobre 1945, relative aux salles de spectacle, qui préconise que le repreneur doit en conserver la vocation culturelle.

Cette ordonnance providentielle sera-t-elle respectée ? C’est là toute la question. Une lettre a d’ores et déjà été envoyée au nouveau propriétaire, fait savoir Aurélie Filippetti, affirmant son « attachement au lieu » et sa volonté d’y voir perdurer une activité culturelle. « C’est de la langue de bois », rétorque Hervé Breuil, qui peine à croire qu’une missive suffise à contrer le projet d’un entrepreneur immobilier. « Pour l’instant, dit-il, le respect de l’ordonnance relève d’une décision politique qui n’a pas encore été prise. »

Marchand de sommeil ?

Alors que sait-on de ce fameux repreneur ? Il se nomme Olivier Revol et serait propriétaire de plusieurs sociétés immobilières. Ancien élève de l’école supérieure de commerce de Paris, cet homme d’affaires aurait été impliqué, en mars 2013, selon Le Parisien, dans une affaire de logements insalubres à Saint-Denis, en Seine Saint Denis. La mairie (PC) a porté plainte pour mise en danger d’autrui et n’hésite pas à évoquer « un marchand de sommeil qui divise les logements pour gagner plus », le tout dans des conditions sanitaires déplorables, constatées par le service d’hygiène de la ville. En 2012, c’est par le biais d’une société luxembourgeoise qu’Olivier Revol devient propriétaire du Lavoir Moderne.

Ni Olivier Revol ni son avocate Maître Chantal Astruc n’ont souhaité répondre à nos questions. Cependant, on en sait un peu plus sur les réunions préliminaires entre ce repreneur et la mairie : « Dans le cadre de l’ordonnance de 1945, il nous a présenté un premier projet d’aménagement dans lequel il a voulu intégrer une dimension culturelle, explique Carine Rolland. Mais ce n’était pas sérieux, lui-même l’a reconnu. Nous lui avons demandé de nous soumettre un autre projet car le premier ne collait pas du tout avec l’ordonnance. On ne s’improvise pas programmateur culturel en claquant des doigts. Toujours est-il que la mairie est attachée au Lavoir Moderne et que nous ne lâcherons pas l’ordonnance qui permet de le protéger. »

Nouveau rebondissement

Si, comme elle n’a de cesse de le préciser, la mairie est attachée au LMP, pourquoi n’a-t-elle pas fait valoir son droit de préemption au moment de la vente en 2012 ? Michel Neyreneuf, chargé de l’urbanisme à la mairie du 18e, est direct : « Je ne pense pas que la mairie souhaitait devenir propriétaire d’un édifice culturel de plus, surtout avec tous les problèmes financiers qui vont avec celui-là. »

Nouveau rebondissement voilà deux jours : dans l’accord signé mardi 25 mars 2014 entre la liste écolo de Pascal Julien et celle du PS Eric Lejoindre, en vue du second tour des élections municipales dimanche 30 mars 2014, un paragraphe est consacré au LMP : « En complément des protections actuelles, nous veillerons, à l’occasion des évolutions du Plan local d’urbanisme, à protéger encore plus la salle de spectacle du LMP afin que ce lieu reste un lieu culturel ouvert aux cultures du monde. Pour faire le point, nous réunirons les acteurs et toutes les institutions concernés. » Le feuilleton est loin d’être terminé.

Anaïs Condomines
dans “dixhuitinfo.com”

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