Le cinéma français se mobilise pour Jafar Panahi


Une pétition a été lancée le lendemain de la condamnation du réalisateur iranien à six ans de prison. Un tribunal lui a aussi interdit de tourner des films ou de quitter l’Iran pendant 20 ans.

 

Des représentants du cinéma français ont lancé une pétition de soutien au cinéaste. Paris a exprimé sa “plus vive indignation” après la condamnation de Jafar Panahi et a appelé Téhéran “à libérer tous les prisonniers détenus pour délit d’opinion”.

Jafar Panahi, qui avait soutenu le candidat d’opposition Mirhossein Moussavi à la présidentielle de 2009, avait été arrêté en mars, puis libéré après 3 mois.

Dans leur pétition, les signataires français et suisses appellent “tous les professionnels du cinéma ainsi que tous les hommes et femmes épris de liberté” à les rejoindre  “pour exiger la levée de cette condamnation”.

La pétition est accessible en ligne.

A travers cette condamnation, “c’est tout le cinéma iranien qui est manifestement visé. Cette condamnation nous révolte et nous scandalise”, soulignent dans un communiqué le Festival de Cannes, la SACD (auteurs dramatiques), la Cinémathèque française, l’ARP (auteurs, réalisateurs, producteurs), la Cinémathèque suisse, le Festival International du Film de Locarno, le Forum des Images, Positif, les Cahiers du Cinéma et Citéphilo, à Lille. La Société des réalisateurs de films (SRF) dénonce elle aussi “les pratiques arbitraires du gouvernement iranien et demande la libération immédiate” de Jafar Panahi et de Mohammad Rasoulof, un autre cinéaste iranien condamné lundi à six ans de prison.

Dès lundi soir, Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, “a pris connaissance avec indignation du pseudo-jugement frappant le cinéaste iranien Jafar Panahi, condamné à six ans de prison et vingt ans d’interdiction d’exercer son métier de réalisateur et de quitter son pays, ce qui revient à l’empêcher totalement d’exprimer son talent”.

De son côté, le philosophe Bernard-Henri Lévy a dénoncé lundi soir à l’AFP “un régime (iranien) devenu fou” qui vient “d’inventer le délit de synopsis“. Avec “cette condamnation ahurissante, le régime de Téhéran a déclaré la guerre à ses artistes et à sa société civile toute entière”, a déclaré BHL, soulignant que Jafar Panahi avait été “condamné sur le soupçon d’avoir l’intention de réaliser un film sur le mouvement vert” (l’opposition, ndlr). “Son seul crime est d’avoir été un partisan de (Mir Hossein) Moussavi.”

De son côté, le délégué général du Festival de Cannes Thierry Frémaux a immédiatement appelé à “agir vite”, cherchant dès lundi soir à organiser rapidement un comité de soutien avec la Cinémathèque française et la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), présidée par le réalisateur Bertrand Tavernier. “Serge Toubiana, Costa-Gavras (respectivement directeur-général et président de la cinémathèque), la SACD… tout le monde est d’accord”, a souligné Thierry Frémaux.

Depuis plusieurs mois, de nombreuses personnalités du monde du cinéma ont pris position en faveur de Jafar Panahi, parmi lesquelles Juliette Binoche. En mai dernier à Cannes, l’actrice française était venue chercher son prix d’interprétation féminine en brandissant un écriteau avec le nom du cinéaste iranien.

“Un rapt du pouvoir contre les artistes”, pour Panahi
“Le raid effectué chez moi, mon emprisonnement et celui de mes collaborateurs symbolisent le rapt du pouvoir effectué contre l’ensemble des artistes du pays”, plaidait Jafar Panahi lors de son procès le 7 novembre, selon un verbatim publié mardi par Le Monde. “Nous juger serait juger l’ensemble du cinéma engagé, social et humanitaire iranien.”

“Nous avons été frappés par la censure, mais c’est une première que de condamner et d’emprisonner un cinéaste pour l’empêcher de faire son film”, déclarait encore, durant son procès, le cinéaste de la “nouvelle vague” iranienne dans son plaidoyer.

Une chaise vide à Cannes, pas de passeport pour Venise
Couronné dans différents festivals de films internationaux, Jafar Panahi n’avait pu se rendre au Festival de Cannes où il était invité en tant que membre du jury. Dès la cérémonie d’ouverture, le 13 mai 2010, l’actrice britannique Kristin Scott Thomas avait désigné devant les caméras du monde le fauteuil vide qui lui avait été réservé, braquant à nouveau les projecteurs sur la République islamiste. Amnesty International, de grands noms d’Hollywood – Steven Spielberg, Martin Scorsese – les ministres Bernard Kouchner (Affaires étrangères) et Frédéric Mitterrand (Culture) et les responsables du Festival avaient pris le relais.

Libéré sous caution fin mai, près de trois mois (88 jours exactement) après son arrestation début mars, et alors qu’il avait entamé une grève de la faim depuis une dizaine de jours, le cinéaste iranien s’était dit déterminé à continuer à tourner, depuis l’Iran où il était joint au téléphone, lors d’une soirée en son honneur à Paris.

Quelques mois plus tard, invité à se rendre à la Mostra de Venise, Jafar Panahi, privé de passeport, n’a pu assister au festival de cinéma. “On m’interdit de faire des films depuis cinq ans. Quand un réalisateur n’est pas autorisé à faire des films, il est emprisonné mentalement. Il n’est peut-être pas confiné dans une petite cellule, mais il erre cependant dans une prison plus grande”, a écrit le cinéaste de 50 ans, dans un message lu avant la projection de son court-métrage “L’accordéon”.

La condamnation judiciaire
“M. Panahi a été condamné à six ans de prison pour participation à des rassemblements et propagande contre le pouvoir”, a dit son avocate Farideh Gheyrat. “On lui a également interdit de tourner des films, d’écrire quelque scénario que ce soit, de se rendre à l’étranger et de s’adresser aux médias locaux et étrangers pendant vingt ans.”

Maître Gheyrat a dit qu’on l’avait informée de cette “lourde sentence” le samedi 18 décembre, et qu’elle avait vingt jours pour faire appel. Selon un communiqué publié en Italie en novembre, Panahi a été traduit en justice pour avoir réalisé un film sans autorisation et encouragé des manifestations d’opposition après l’élection de 2009, qui avait été suivie de plusieurs mois de troubles politiques.

Un autre cinéaste iranien, Mohammad Rasoulof, arrêté avec Panahi en mars dernier, a lui aussi été condamné à six ans de réclusion pour “activités et propagande contre le pouvoir”, a rapporté l’agence Isna. Son avocat compte interjeter appel.

Un cinéaste couronné et soutenu à l’international
Jafar Panahi avait obtenu la Caméra d’or au Festival de Cannes 1995 pour son premier long-métrage, Le Ballon blanc“, et cinq ans plus tard le Lion d’or du meilleur film à Venise pour “Le Cercle“, qui aborde la condition des femmes en Iran.

Panahi avait été arrêté avec sa femme et sa fille début mars, mais les membres de sa famille ont ensuite été libérés tandis qu’il était transféré à la prison d’Evin, à Téhéran.

En mai 2010, durant le Festival de Cannes, une quarantaine d’acteurs et cinéastes, dont Robert RedfordBertrand Tavernier, Isabelle Huppert, Marjane Satrapi et Jim Jarmush avaient signé une pétition pour la libération de Jafar Panahi, mise en ligne par la revue “La Règle du jeu”. Michael Moore, Steven Spielberg, Oliver Stone, Martin Scorsese, Robert de Niro et les frères Coen, qui avaient déjà signé début mai un premier appel à libérer le cinéaste, figuraient aussi parmi les signataires de la pétition. Ce texte en ligne sur le site de la revue dirigée par Bernard-Henri Lévy demandait aux autorités iraniennes la libération “immédiate et inconditionnelle” du cinéaste alors détenu à Téhéran depuis mars, et qui avait été invité en vain à rejoindre le jury du 63e Festival de Cannes.

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