Madeleine LOUARN (publication du 22 Octobre 2014)

Un pari sur l’avenir

Les arts du vivant ont comme caractéristique de faire une brèche dans le fil du temps, une interruption qui valide plus que jamais notre place dans la société par la scansion qu’ils proposent. Ces brèches sont indispensables aujourd’hui pour ne pas désespérer d’un avenir sans certitudes. Nous, professionnels de la culture, parions sur l’avenir, sans garantie et sans assurance. Nous vendons la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Nous sommes par essence calibrés pour le risque. C’est pour cela que les arts du vivant sont plus que jamais emblématiques des enjeux d’aujourd’hui et notre responsabilité politique plus que jamais engagée.

Parfois méprisés ou ignorés, parfois encensés ou instrumentalisés, les artistes ont toujours eu une place singulière dans la société. Mais plusieurs éléments viennent une nouvelle fois bouleverser cette place : la redéfinition des compétences culturelles décentralisées, la croissance du nombre d’artistes et de compagnies, la révolution numérique, l’élargissement des pratiques amateurs… Tous ces enjeux passionnants rendent la présence des artistes plus massive mais aussi plus précaire. Aujourd’hui, on parle davantage de culture que d’art, ce qui peut traduire à la fois une banalisation du geste artistique et une délégitimation de l’artiste.

Le discours généralisé sur l’efficience économique s’attaque aussi aux structures culturelles. Il vise une quantification et une régulation pour des objets artistiques qui échappent par définition aux schémas directifs de la dépense publique. Par les coupes budgétaires inédites qui ont commencé, c’est toute la structuration professionnelle qui est en péril, les emplois permanents comme les artistes et techniciens intermittents. Et cela est doublé d’une réforme de l’assurance chômage tout à fait néfaste, qui renforce les injustices déjà en vigueur.
Depuis plus de dix ans, le SYNDEAC défend, avec les autres organisations professionnelles et les parlementaires membres du Comité de suivi, une réforme équitable et durable, alternative au système en vigueur depuis 2003.

Au lieu de nous donner les moyens et l’élan politique du développement nécessaire de notre secteur, les injonctions se généralisent tandis que les renoncements se multiplient. Cette contradiction politique met chaque structure culturelle sous pression et les conditions d’accueil en résidence ou en diffusion se durcissent. Pourtant, les artistes contribuent au développement humain des territoires, en nourrissant de leur acte de création leurs nombreuses interventions au cœur des établissements scolaires ou auprès des amateurs, dans les entreprises, les hôpitaux ou les prisons. L’enjeu de la réforme de la décentralisation pour le secteur culturel est de savoir si nous pourrons conforter ce qui s’est déployé à travers tout le pays au cours du demi-siècle écoulé ou si nous assisterons à un assèchement de cette richesse et de cette diversité artistique. Nous avons l’opportunité impérieuse d’élaborer avec des élus territoriaux impliqués et avec un Etat garant de l’équité territoriale des espaces de gouvernance partagée qui redonnent de la légitimité aux artistes.

Madeleine LOUARN
Présidente du SYNDEAC
Metteure en scène
Directrice du Théâtre de l’Entresort (Morlaix)

 

par Martine LOGIER, responsable des cartes blanches.

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