Michel Bernardy nous a quittés


Nous sommes de nombreux élèves du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique   à avoir eu comme professeur Michel Bernardy, cet amoureux de la langue française et de la versification.

Son cours et sa passion du Verbe nous ont tou.te.s marqué.e.s ainsi que sa manière de travailler l’Alexandrin , de le saisir telle une mesure” à 12 croches”, un rythme ternaire. Beaucoup d’entre nous ont trouvé source d’inspiration pour écrire des poésies, des chansons, des romans.

Merci Michel Bernardy

Rue du Conservatoire adresse ses plus sincères condoléances à sa famille, ses proches, ses anciens élèves et ami.e.s de la Comédie Française.

Questions à… Michel Bernardy

Michel Bernardy fut pensionnaire de la Comédie-Française de 1960 à 1972, puis professeur de langage au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de 1972 à 1994.

Michel Bernardy fut pensionnaire de la Comédie-Française de 1960 à 1972, puis professeur de langage au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de 1972 à 1994. Passionné par la langue et la littérature, il est l’auteur d’un éminent traité intitulé Le jeu verbal ou Traité de diction à l’usage de l’honnête homme.

Qu’est-ce qu’un honnête homme? M.B. Un être humain qui tend à s’humaniser davantage! En affinant notre relation au langage, par exemple, nous affinons ce qui nous compose. Nous nous bonifions. L’art, en général, aide à cette évolution. A son contact, nous devenons plus humains.

Quel enseignement un professeur de diction apporte-t-il à un comédien? M.B. Il lui apprend à «respirer une phrase», à comprendre où elle va, à savoir où placer les césures, les silences. En résumé, à maîtriser et à prendre possession de la forme d’un texte.

Cela demeure subjectif. Un acteur interprète… M.B. Je préfère dire qu’il incarne. Or, incarner un texte, c’est apprendre une nouvelle langue. Et il y a évidemment autant de langues différentes qu’il y a de textes différents. Un acteur est en quelque sorte un polyglotte pour qui la phrase est source d’inspiration. Aujourd’hui, on a trop tendance à minimiser la réalité et la puissance de la forme. Mettez face à face un jeune musicien et un jeune comédien. Le premier a une connaissance parfaite de la forme d’une partition. Il est capable d’analyser chaque phrase musicale, chaque silence, chaque rupture de rythme. Ce n’est malheureusement pas le cas de tous les jeunes comédiens…

Mais l’analyse d’un texte ne peut pas être objective… M.B. Si, il y a des règles, comme en musique. Les compositeurs ne notent pas toutes leurs intentions sur une partition. C’est le travail d’analyse musicale qui permet aux musiciens de la comprendre. C’est pareil pour un texte. Prenez cette phrase: «J’ai rencontré un marchand de tapis chinois.» Qui est chinois? Le marchand ou les tapis? Il est évident que le contexte donne la réponse. Le phrasé est suggéré par l’auteur. Mais c’est au comédien de transmettre au spectateur le sens juste du texte. Ensuite, chaque interprète donne une nuance, une modulation qui lui est personnelle. Distribuer des césures dans un texte, c’est aller au-delà des mots. Il ne peut y avoir de liberté que s’il y a connaissance et contrainte. C’est un métier.

Pour expliquer ce qu’est une phrase, vous utilisez la métaphore du feu d’artifice… M.B. Oui, car son trajet s’apparente à celui d’une fusée pyrotechnique. Je donne pour exemple cette phrase de Mme de Sévigné: «M. de Lauzun épouse, dimanche, au Louvre, devinez qui? […] Il épouse Mademoiselle, ma foi! par ma foi! ma foi jurée! Mademoiselle, la Grande Mademoiselle.» Analysons l’ensemble. «M. de Lauzun épouse, dimanche, au Louvre…»: c’est le lancement, le tracé obscur de la fusée dans l’espace qui correspond à la première partie d’un énoncé. En terme savant, on l’appelle la protase. Il tient l’auditeur en haleine, car son sens est incomplet. Continuons: «… devinez qui?»: c’est l’éclatement lumineux de la fusée, le point névralgique de l’énoncé (dit l’acmé). L’attention de l’auditeur est à son maximum. Vient ensuite l’apodose («Mademoiselle…»). C’est la retombée scintillante, la chute temporaire du discours, sa partie conclusive. Parler nous est naturel et nous n’avons pas conscience de l’énergie des mots et des phrases. Mais s’il veut toucher un public, lui transmettre une émotion, un comédien doit se rendre maître de cette énergie. Sans que jamais le spectateur ne devine le travail qu’il lui faut faire. La diction est un moyen. Et comme telle, elle doit se faire oublier. Si savante que soit la forme, elle ne doit jamais être sophistiquée. L’effort doit demeurer invisible.

Vous regrettez qu’il n’y ait pas de terme générique pour désigner les différents acteurs de l’art du langage… M.B. C’est vrai. En musique, on nomme indifféremment «musicien» le compositeur, l’interprète ou l’amateur éclairé. Il n’y a pas d’équivalent en art dramatique. Notre art – et je reprends une analyse de Louis Jouvet – naît de la rencontre de trois personnes: d’abord l’auteur, qui écrit mais ne joue pas; puis l’acteur, qui joue mais n’écrit pas; enfin le spectateur, qui n’écrit ni ne joue, mais participe à la vibration de la création. Peut-être pourrait-on appeler ces trois protagonistes des «langagiers». Ce n’est qu’une proposition!

Votre livre est truffé de citations d’écrivains de toutes les époques et de tous les pays… M.B. Je me suis toujours considéré comme un porte-parole. Aussi bien lorsque j’étais acteur que lorsque je suis devenu metteur en scène, puis professeur. J’ai donc souhaité inviter dans ce livre des auteurs qui parlaient savamment du langage. Ce sont les auteurs qui m’ont servi à construire mes cours de diction. Lorsqu’on m’a confié cette tâche, j’ai commencé à potasser. Je ne voulais pas répondre aux questions de mes élèves en mon nom propre, en puisant dans ma seule expérience. Diderot, Chomsky, Valéry, Claudel, Shakespeare…: c’est grâce à tous ces grands noms de la littérature que j’ai compris ce qu’était le langage et comment un acteur devait l’appréhender.

 

TÉMOIGNAGES D’ANCIEN.N.E.S ÉLÈVES

Michel Bernardy nous a quitté, nous lui serons à jamais reconnaissants de ce qu’il nous aura transmis avec tant de passion. Nous adressons à ses proches et à sa famille nos très sincères condoléances.

C’est au Conservatoire National d’Art Dramatique que j’ai eu la chance de rencontrer et de travailler avec Michel Bernardy.
Sa classe était un véritable laboratoire.
Un seul objet occupait tous nos instants : le langage.
Il régnait dans ce cours une atmosphère de jubilation indicible. Nous sortions toujours exaltés des leçons de ce maitre, et notre joie était immense lorsque, guidés par ses indications, ses trouvailles, son savoir, nous étions parvenus, ne fût-ce qu’un instant, à ce point où l’évidence d’une pensée rejoint celle de quelque poête, dans une communion radieuse.
Le titre de Michel Bemardy était “professeur de langage”.

Au Conservatoire, les promotions se sont succédé, et cet homme du gai savoir a depuis transmis sa science à de nombreux comédiens. Un savoir qui n’est pas réductible à quelques trucs, ou recettes. Ni même à quelques secrets.
Un savoir qui est une méthode et qui s’appuie non seulement sur une connaissance encyclopédique de la littérature et se nourrit d’exemples mais aussi sur une véritable éthique du langage.
Ce n’est pas hasard si Michel Bernardy a  intitulé le magnifique “traité” qui a mis son enseignement à la portée d’un plus grand nombre Le jeu verbal ou traité de diction française à l’usage de l’honnête homme.
Honnête homme en effet Michel Bernardy l’aura été; lui qui a travaillé inlassablement à mettre sa vie au service de l’œuvre
poétique, et à faire renaître avec ses disciples, du silence de la page, “ces voix qui se sont tues”.
                                                                                  Robin Rennuci

 

 

????HOMMAGE????
MICHEL BERNARDY est parti ce week-end…
Celles et ceux qui ont suivi son enseignement au Psl Cnsad savent de qui il s’agit.
Pour les ami.e.s qui passent sur cette page, dire qu’il était violoncelliste et comédien et fut pensionnaire de la Comédie-Française de 1960 à 1972, puis professeur de langage au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de 1972 à 1994.
Je l’ai eu comme professeur et j’avoue n’avoir pas toujours bien compris ses cours. Le niveau était haut. C’est plus tard que je me suis intéressée de près à ses recherches sur la langue française…
Michel Bernardy était un jongleur de mots, un amoureux de notre langue : de sa respiration, de son rythme, du phrasé. Un spécialiste de la trajectoire de la pensée, de la protase, de l’acmé et de l’apodose…????
Son livre “le jeu verbal” reste une bible pour les acteurs et les aspirants acteurs. Je parlais encore de lui et le citais la semaine dernière à mes élèves du conservatoire. Je le ferai encore aujourd’hui.
Pour que sa mémoire demeure, continuons à le lire et à transmettre ses recherches sur l’oralité de la langue française.
Que la terre soit légère à cet homme si passionné, poète à sa manière…
Mes condoléances chaleureuses aux siens.
” Jongleur de mots, le poète,
comme est jongleur de notes le musicien,
sous cet aspect ludique, envisageons la littérature : jeux d’ombre et de lumière dans la nature, jeux de silence et de parole dans le langage, comme manifestations que la vie propose dans sa prodigieuse diversité.”
Barbara Bouley
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C’est avec tristesse que j’apprends la disparition de mon professeur de versification. Ses cours m’ont énormément marqués et j’y ai tout de suite entendu la musique et le rythme. J’ignorais qu’il était également musicien jusqu’à aujourd’hui. Je comprends mieux maintenant pourquoi il me parlait tant.
Personne ne peut oublier les exercices très originaux qu’il nous faisait faire en nous servant de chiffres de 1 à 12 , remplaçant les syllabes des mots de l’auteur pour comprendre, respirer, nous remplir de la musicalité mais aussi du rythme de  nos textes en étude :  Corneille, Racine…Pour moi, les césures, l’hémistiche, l’apodose résonnaient en moi comme des silences, des pauses ou des changement  de rythme.
 Les cours de Michel Bernardy m’ont même inspiré un morceau de     Jazz/ Hip-Hop très original où une partie est en octosyllabes et la plus importante en Alexandrins, une poésie rappée et chantée. Le  Hip-Hop et alexandrin font bon ménage en somme:)
Il nous faisait même remarquer que beaucoup de phrases publicitaires étaient construites en Alexandrin.
Mais écoutez plutôt en son hommage
J’adresse mes plus sincères condoléances à sa famille
Sylvie Laporte

 

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