Michel CORVIN (publication du 14 Février 2010)

Le théâtre ?  Des montagnes de papier

« C’est un métier de faire un livre, comme de faire une pendule » disait ce rétrograde de Voltaire. A-t-on idée qu’il faille être un pédant de collège pour lâcher ce qu’on a sur le cœur, qu’il faille avoir de l’imagination dans son cortex, des mots et des images dans sa gibecière mentale, un certain souci de l’Autre avant de livrer ses dernières nouvelles sur le Tout ! Nous, nous avons balayé tout ça : je vis, donc j’écris ; et j’écris  pour qu’on me joue, donc j’écris du théâtre. Eh oui ! C’est aussi simple et aussi contradictoire que cela ! Le droit à la logorrhée dramatique est inscrit dans la déclaration universelle des droits de l’homo loquax et le pli est pris, depuis plus de 30 ans : ateliers d’écriture en classe élémentaire et en université, rendez-vous de brain-scripting à l’usage des retraités et des auteurs méconnus, comités de lecture dans chaque sous-préfecture : écrire, écrire…

C’est la quantité qui compte, des fois qu’au travers du filet – pourtant on ne peut plus serré – de la reconnaissance publique, passerait le génie de demain. Les éditeurs, que feraient-ils s’ils n’avaient autour d’eux toutes ces mouches du coche, brûlant d’aider le véhicule poussif de la créativité théâtrale à faire un bond en avant sur le chemin de découvertes inouïes. Soit ! Que les écrivains écrivent, et qu’ils sacrifient des forêts entières pour se procurer du papier à noircir. Mais se sont-ils demandé qui lisent leurs pièces et passent le plus clair de son temps à rédiger des notices qui ne serviront qu’à remplir les poubelles (de l’Histoire) ? Ces lecteurs, ce sont des amateurs de littérature, d’écrit, des gens comme moi, pas nécessairement incompétents, mais impuissants à coup sûr ; et les décideurs se moquent bien d’eux ! Dès lors toutes ces pièces, silencieusement rangées sur les rayons des bibliothèques : autant de pierres tombales dans le cimetière des « paroles gelées », chères à Rabelais.

Plus on écrit, plus on dépose de traces visibles et durables (sous forme de manuscrits, tapuscrits, brochures et textes publiés), plus on a de chance d’être lu et… moins (ou presque) on a de chance d’être joué : quel rapport de cause à effet entre être lu et être joué ? Presque aucun, en ligne directe ; les réseaux sont autres et la vie d’un texte (même sa vie écrite, paradoxalement) commence sur le plateau, non sur la page. Alors, de grâce, messieurs les auteurs, écrivez, oui, mais ne diffusez rien ! Rédigez votre œuvre en un seul exemplaire, à la plume. Il suffira, si vous avez le flair et la chance de l’adresser à la bonne personne qui en fera… du théâtre.
Michel Corvin
Professeur honoraire d’université (Sorbonne nouvelle-Paris III), Michel Corvin a publié sur le théâtre une vingtaine d’ouvrages critiques ; il est notamment le maître d’oeuvre du Dictionnaire encyclopédique du théâtre (Bordas, 4ème édition, 2008).
Actualité :
Michel Corvin a dirigé un ouvrage collectif sur Noëlle Renaude : Atlas d’un nouveau monde, à paraître aux éditions Théâtrales.
A paraître également : un folio-théâtre (Gallimard) sur les Cenci d’Artaud.

par Martine LOGIER, responsable des cartes blanches.

 

Réactions

  1. 15/02/2010 – Hé oui…
    Petit parallèle : je me souviens de quelques phrases d’Antoine Vitez qui, ayant rassemblé tous les élèves du Conservatoire dans la salle Jouvet pour une sorte de débat, avait dit à propos de la pléthore d’acteurs que pour un metteur en scène trop de choix tue le choix, que plus le nombre d’acteurs est grand, moins on peut repérer, suivre et faire émerger le “meilleur”. Que la notion de “talent” disparaît au profit de la simple expression “avoir des qualités” dont chacun est de toute évidence pourvu, et qu’ainsi les critères se diluent dans un magma injuste duquel les facteurs prépondérants laissant émerger une carrière seront, de plus en plus, le hasard et la chance, au détriment du talent, de la valeur artistique et de la satisfaction du metteur en scène !

    Que ne dirait-il pas aujourd’hui !
    Amitiés à tous

    Jean-Christophe LEBERT.

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