Michel SIMONOT (publication du 26 Juin 2017)


L’écriture et la scène

Aujourd’hui, écrire pour le théâtre ne signifie plus nécessairement qu’il faille se soumettre à des conventions d’écriture qui seraient prédéfinies comme théâtrales. D’ailleurs, l’accroissement de mises en scène de textes non prédestinés à la scène, tels des romans, des essais, contribue à la mise en question de l’idée selon laquelle il y aurait des formes d’écriture pour le théâtre1.
De plus en plus d’écrivains produisent des textes qu’ils considèrent, à la fois, comme appartenant à la littérature et, à la fois, pouvant être destinés à la scène.
Pourtant, la distinction, dans le champ de l’édition, de la catégorie théâtre persiste sans trop d’interrogations.
La réalité concrète se charge de rappeler tout le monde à l’ordre de la séparation des genres : dans les librairies, la matérialité de l’existence de casiers spécialisés théâtre ; dans les bibliothèques, les classements des fiches ; chez les éditeurs, la spécialisation exclusive en théâtre. Ces rangements matériels et visuels rendent quasi naturelle la distinction du genre théâtre et, donc, sa séparation de la littérature, de la poésie, etc.
Par ailleurs, certaines théories ont été développées, et largement admises, pour donner un fondement à ce qui serait la spécificité du texte dit dramatique. Par exemple, celui-ci serait inachevé, parfois troué : ce serait à la mise en scène qu’il reviendrait d’achever le texte.
Cette caractérisation d’inachèvement est essentielle à la distinction convenue du genre dramatiqueou théâtral2 : elle conditionne, inconsciemment, l’appréhension d’un texte par ses lecteurs, principalement les potentiels metteurs en scène et comédiens (voire les producteurs) et, donc, son avenir concret. De cette façon, l’étiquetage théâtre dit qu’il manque quelque chose au texte et que, précisément, cette carence lui conférerait son intérêt… théâtral.
En d’autres termes, un texte de théâtre est lu depuis la scène. La scène comme comblement, parachèvement du texte.
Un texte qualifié de théâtre n’est pas lu comme texte autonome. Le manque, la carence qu’on lui attribue fait qu’il n’est pas abordé dans son enjeu d’écriture, au sens littéraire du mot. Le supposé manque fait écran à l’appréhension du texte comme écriture, comme travail de la langue.
Mais lorsque les romans, les essais philosophiques sont portés à la scène le sont-ils en raison d’un manque, de leur inachèvement théâtral ? Cette seule question devrait amener à mettre en question les tentatives essentialistes d’identification de la spécificité DU texte de théâtre.
Il faut déplacer le point de vue et s’interroger sur ceci : qu’est-ce qui, à telle ou telle époque, fait que l’on accorde une potentialité scénique à tel texte, c’est à dire à telle écriture, qu’elle soit cataloguée théâtre ou non ? En parlant de potentialité scénique et non de spécificité théâtrale on s’apercevrait que c’est dans l’écriture comme travail de la langue, aux sens à la fois symbolique et concret, que se situe cette potentialité. Une langue capable de s’emparer de la voix, du corps de l’actrice, de l’acteur. Oui, dans ce sens là, et non l’inverse.
Cette inversion de perspective change l’appréhension des textes par celles et ceux qui sont à la recherche de textes à monter.

Michel Simonot
Écrivain pour la scène.

1 – C’est Antoine Vitez qui a marqué cette bascule, en 1975, avec Catherine, théâtre-récit d’après le roman d’Aragon Les Cloches de Bâle. Heiner Müller disait en 1990 : aucun texte n’est à l’abri du théâtre.

2 – Il faudrait faire la distinction entre dramatique, caractéristique plutôt intrinsèque au texte, et théâtral qui définit une destination, la scène du théâtre.

 

Michel Simonot
Homme de théâtre, écrivain et metteur en scène. Il est sociologue de la culture.
Il a écrit une vingtaine de textes, tous portés à la scène ou à la radio.
Dernières publications théâtrales : Delta Charlie Delta, 2016, Édition Espaces 34 ; Le but de Roberto Carlos, 2013, Éditons Quartett.
Actuellement en résidence à Anis Gras (Arcueil),
il est dramaturge auprès d’artistes de la scène, théâtre et musique.
Il codirige le festival Bruits Blancs avec le compositeur Franck Vigroux.
Il a été auteur-metteur en scène associé au Théâtre Gérard Philipe de Saint Denis (Centre Dramatique National), sous la direction d’Alain Ollivier.
Il a, entre autres, été adjoint à la direction des fictions de France Culture, dirigé ou codirigé des établissements artistiques et culturels, responsable des formations au Ministère de la Culture. Il a publié de nombreux ouvrages et articles sur l’écriture et la scène, ainsi que sur les politiques culturelles. Dernièrement : La langue retournée de la culture (éd. Excès. 2017)
Il fait partie du groupe Petrol, avec les écrivains Lancelot Hamelin, Sylvain Levey, Philippe Malone) dont sont publiés, entre autres : l’Extraordinaire tranquillité des choses, 2006, (éd. Espaces 34), Merry Go Round, 2014, (éd. Théâtrales).

par Martine LOGIER, responsable des cartes blanches.

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