MISE EN ABYME par Marie-Luce Bonfanti


 

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MISE EN ABYME 
ou Si les miroirs s’emmêlent…  

de Marie-Luce Bonfanti

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71.


XXXXXur se racla la gorge :

– Le corps de votre ami a été retrouvé dans un bosquet, au lieu-dit des « Enfants noyés », qui se trouve au bord d’un marais dans la forêt.

– Dans la forêt ? Comment ça ? Qu’est-ce que Pierre aurait été faire là-bas ?

– Un de vos charmants camarades, se basant sur la présumée homosexualité de la victime, a émis la suggestion qu’il s’agirait d’un crime crapuleux, le scénario classique : le jeune prostitué tue son micheton…

– Ne me dites pas que mon charmant camarade s’est arrêté en si bon chemin ? Je suis sûre qu’il a également évoqué quelque abjecte histoire de pédophilie où l’enfant, voire un parent de celui-ci, s’est vengé du violeur…

– Effectivement, votre charmant camarade n’a pas hésité à se lancer dans des suppositions plus graveleuses les unes que les autres…

– Vous allez l’arrêter ?

– Pardon ? Qui ça ?

– Le charmant individu en question.

L’inspecteur considéra Léa de l’œil circonspect que l’on réserve aux espèces animales encore non répertoriées au patrimoine mondial.

– Il n’y a aucune raison. L’homme est foncièrement antipathique, mais je n’ai aucun motif valable pour pratiquer son arrestation.

Léa tapa du pied :

– Trouvez-en un, sapristi ! On ne peut pas laisser en liberté un malappris de cet acabit ! Fourrez-le au trou, ne serait-ce que pour une nuit !

– Rien ne me permet de le suspecter.

Elle en trépignait de rage et d’impuissance :

– Mais, moi, oui. Moi, vous me suspectez ! Et pas cette immondice de Christian ! Dieu sait s’il est haineux, pourtant ! Vous voulez un indice qui vous autorise à le suspecter ? Demandez à Monsieur Wittig-Diaz la poupée sanglante qu’il a soigneusement enfermée dans son bureau. Vous aurez là de quoi interroger ce camarade si charmant quant à sa façon de menacer ses partenaires.

– Monsieur Wittig-Diaz m’a informé de cette histoire de poupée, mais il ne m’a pas indiqué que l’on connaissait l’auteur de cette plaisanterie douteuse.

– Confrontez Monsieur Christian Dorge avec cet objet délictueux et assurez-le que, là, il y a matière à le soupçonner de meurtre, vous verrez à quelle vitesse il se déboutonnera. Il vous fera son sourire le plus gluant, son œil le plus visqueux et, de sa voix la plus mielleuse, il vous avouera bien volontiers être le plaisantin coupable. Avec sa bouille des jours sociables, il se présentera en homme qui aime la rigolade, un joyeux luron, entre mecs on se comprend, mais cette petite farce « tout compte fait innocente » ne fait pas de lui un assassin – n’est-ce pas, Monsieur l’Inspecteur ? Et là-dessus, le clin d’œil entendu et égrillard…

Léa prit la peine d’illustrer son propos. Sa mimique fut si suggestive que l’inspecteur en fut médusé, même légèrement écoeuré :

– Où allez-vous chercher que c’est lui, le plaisantin ? Jusqu’à présent et pour autant que je sache, nul n’a encore acquis de certitude quant à l’auteur de ce barbouillage macabre.

–  Moi, j’ai toujours su. La vulgarité et la bêtise signent leurs méfaits, sinon vous n’attraperiez jamais un criminel, vous le savez mieux que personne. Oh ! Bon, je me fatigue pour rien, vous n’agirez pas envers ce triste personnage.

Moue agacée – et agaçante – de l’inspecteur :

– Vous conviendrez que j’ai une affaire autrement plus importante à traiter.

– Excusez-moi, je suis désolée…

L’inspecteur se mit debout :

– Cette fois, je m’en vais. S’il vous vient un souvenir qui ferait avancer l’enquête, n’hésitez pas à m’en faire part.

Léa posa enfin son coussin :

– Inspecteur ! Cette histoire de ceintures, il faudrait l’élucider, vous ne pensez pas ? Avant de m’arrêter définitivement ?

Elle voulut se lever, mais elle vacilla légèrement. L’inspecteur la dévisagea :

– Je pense surtout que vous devez vous reposer, la journée a été dure et celles qui vont suivre ne le seront pas moins. Vous ne croyez pas, Monsieur Faber ?

Bruno, l’air sombre, acquiesça sans mot dire.

– Un tracas particulier, Monsieur Faber ?

Bruno sursauta :

– Non, non. Je me fais du souci pour ma camarade, voilà tout.

L’inspecteur le scruta un moment, puis il les salua d’un signe de tête et sortit.

 

– Si, Léa, tu vas prendre ce calmant et monter te coucher pour dormir tout ton saoul. Je reste ici pour veiller sur toi. J’ai déjà préparé la chambre d’ami pendant ta sieste, tout ira bien. Ce que tu peux être enquiquinante, prends ce verre d’eau et avale cette pilule. Comment ça, tu as faim ? Je te préviens, si tu ne dors pas quand Simon appelle, je te le passe.

 

Ouvrir les yeux, cerveau embrumé, peu à peu retrouver la conscience des choses, Pierre, Simon, Bruno…

– Hé ho, là-bas ! Quelle heure est-il ?

– Ah ! Tu es réveillée. Je monte avec ton petit-déjeuner.

Sur le plateau, entre les croissants et l’œuf à la coque, une enveloppe avec pour seule mention « Léa ».

– Qu’est-ce que c’est ?

Tout occupé à servir le thé, Bruno répondit d’un ton distrait :

– Je ne sais pas, c’était dans la boîte aux lettres.

Puis, voyant l’air circonspect, vaguement inquiet, de Léa :

– Mange d’abord. Ce poulet peut attendre, je n’aurai pas dû le mettre sur le plateau.

Il empocha la lettre et s’installa sur le bord du lit :

– Tu as meilleure mine qu’hier. Te sens-tu reposée ?

Léa, la bouche pleine, opina d’un signe de tête.

– Simon a bien sûr appelé hier soir. Il était très soucieux pour toi.

– Il va abréger son « opération long week-end » et sauter dans un train pour me rejoindre ?

– Léa, ne prends pas ce ton narquois, il était sincèrement désolé de ne pouvoir se libérer. Me savoir près de toi l’a un peu soulagé.

– Tu m’en diras tant, dit Léa, en arrosant son yaourt de miel grec, butiné dans le thym.

– Il tentera de venir dans la semaine.

– Ô merveille ! Tu m’en vois pantoise.

– Léa !

– Passe-moi l’enveloppe.

La main sur sa poche, Bruno hésita :

– Es-tu sûre d’avoir assez mangé ?

– Donne !

– Je ferais peut-être mieux de l’ouvrir avant toi, non ?

– Tu aurais dû y penser plus tôt, maintenant c’est trop tard, passe-moi cette enveloppe.

A suivre…

Tous droits réservés © Marie-Luce Bonfanti

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