Pascal PARSAT (publication du 17 Novembre 2012)

Une carrière à l’aveugle

Il y a plus de 20 ans, en commençant ma carrière, j’aurais bien été incapable de dire où tout cela allait me conduire. D’autoroute en sentiers, de chemins de traverse en boulevard, ma route a été un voyage unique dont je ne tire aucune gloire entendons-nous bien mais une prise de conscience, selon laquelle il ne faut pas compter sur les autres pour donner vie à nos rêves. Ainsi, je suis passé du cabaret à la danse, du théâtre à la pédagogie théâtrale, de l’écriture à la mise en scène et à la production, jusqu’à la création d’un lieu d’excellence pour l’accueil des personnes handicapées, où chacun est à égalité d’accès, d’usage et de qualité… www.crth.org

Sans plan de carrière, chaque étape a été l’expression d’un besoin, d’une idée, d’un rêve. Parfois, sans doute, aussi l’occasion pour les autres de penser que j’allais dans tous les sens. Les sens. Quand j’ai créé le théâtre dans le noir, à part quelques proches, nous étions peu à croire à cette idée saugrenue. Du théâtre dans le noir ? Et les décors ? Les costumes ? Ainsi, à une dame du Ministère que je ne nommerai pas qui doctement m’affirmait que mon théâtre n’en était pas, ai-je répondu que j’étais las d’entendre de telles remarques, mon chéquier aussi. Que je ne pouvais en ce qui la concernait nier qu’elle était une femme, au plus pouvais-je dire qu’elle n’était pas la femme qui me plaisait. Tel était mon théâtre dans le noir.

Et ce noir, fut éclairant à plus d‘un titre. Là, j’ai avancé à tâtons, sans crainte mais avec prudence, on ne court pas dans le noir, on explore, tâtonne, découvre, s’approprie les choses. Ce fut pour moi un voyage plein de sens, métaphore de la vie. Il y a ceux qui sont tétanisés et n’osent faire un pas. Il y a ceux qui s’en remettent aux autres. Il y a ceux qui osent tenter l’aventure. Quelle aventure ! Ce noir d’alors qu’on ne disait pas tel, mais sans lumière, dans la pénombre… En effet, le noir alors était synonyme de sommeil, de mort. Qui aurait dit que le noir aujourd’hui serait une dimension de relaxation, de bien être, de repos, de sensorialité. Le monde a changé et de l’esprit est allé vers le corps, ses sens, sa réalité, son besoin vrai, simple, instinctif, presqu’animal. Naturel ? Qu’est-ce qu’être un artiste, si ce n’est ce me semble aller au bout d’une sensation, d’une émotion, d’un rêve ? Cela ne s’explique pas, ne se justifie pas. Cela n’est pas rationnel. Pas besoin de réfléchir, il faut que cela naisse, que cela soit. Est-ce nécessaire ? Utile ? Raisonnable ? Ce n’est pas le propos. C’est là, obsédant. Vital ? Tout cela m’a conduit vers d’autres aventures, d’autres folies, d’autres surprises, d’autres découvertes selon que l’on est artiste ou pas… Mais toujours, le besoin de parler de la difficulté d’être autre, différent s’est révélé au cœur de mes créations. Les auteurs qui ont jalonné mon parcours ? Diderot, Wilde, Saint-Exupéry. Chacun en son temps dut se battre, m’a permis de ne pas perdre courage, de résister. Jacques Copeau dans son manifeste n’en disait pas moins en ouvrant le Vieux Colombier. Faire fi des esprits chagrins, résister à ceux qui ont perdu l’envie de ne pas renoncer. Sinon…

Pour ce qui est du noir, de ses vertus : Le noir exige une parole claire, une diction sans faille, une écoute de l’autre sans artifice, un jeu sans fioriture, une pensée claire, une mise en scène suggestives où sons, déplacements, senteurs sont autant d’objets pour que chacun sur l’écran de ses paupières fermées, voie. Pour que le spectateur se fasse sa représentation et non s’incline devant une lecture où il n’a pas de place pour sentir, ressentir, voir. Le noir contraint à l’authenticité. Tous ceux qui m’ont suivis dans le noir confient combien leur jeu s’en est trouvé ensuite plus juste, plus affirmé, plus mobilisé. Alors, j’ai intégré ce travail dans ma pédagogie. Affranchi du regard, de la peur d’être mis à nu, l’élève de théâtre se livre, s’explore, s’affirme dans la conscience, et la maitrise. Ce noir, au-delà de ses qualités artistiques ou pédagogiques, m’a fait découvrir des hommes, des femmes qui voyaient peu, mal, pas, plus du tout. Ce fut une nouvelle étape. Celle de l’indignation. A l’époque, les « autrements » n’avaient pour seul issue que les associations et leurs démarches charitables, compassionnelles. Mais qu’y avait-il d’autre ? Une société peut-elle être digne de ce nom quand elle exclue, oublie, ignore l’un des siens ? Ce fut alors que mon chemin m’a conduit à ce que je pense, fais, suis aujourd’hui.

Souvent, je fais la parallèle entre l’artiste et la personne handicapée. L’un et l’autre regrettent souvent de ne pas être considérés, pris en compte, acceptés tels quels. Ce voyage au pays de la différence m’a permis d’assumer la mienne, de l’affirmer, de la rendre productive et non assassine comme cela arrive parfois. Cela m’aide souvent quand je rencontre des bénéficiaires du Fonds de Professionnalisation et de Solidarité. Leurs réalités, leurs humeurs, rien ne m’est étranger. Souvent, je fais le lien avec mon histoire pour les apaiser, les situer, les dynamiser, les éclairer donc. Rien de ce que j’ai fait ne m’a privé de ce que j’avais pensé faire, avoir, atteindre. Rien ne m’a été ôté, non rien. Tout le reste n’est qu’illusions, ambitions, rêves peut-être trop grands… Je suis là où je devais être. Seule cette réalité est appréciable. On n’emporte avec soi que ce que l’on a donné, me semble-t-il. Je ne suis pas devenu celui que je croyais que je devais être, l’artiste que tout le monde recherche et salue.  Et quand je me retourne, comme dirait Perdican, je sais que j’ai aimé chaque instant, que je ne rougis de rien, que je suis dans l’accord de ma vérité et de ma réalité. Que tout fait sens. En réponse à ceux qui pensait que cela n’avait aucun sens. Si j’ai pu contribuer par ma sensibilité d’artiste à changer quelque chose, à interpeller mes contemporains, à encourager d’autres à ne pas renoncer à leurs rêves, cela n’est pas si mal. Non ? Et quand bien même je serais dans l’erreur… Cela n’engage que moi et il n’y aura pas mort d’homme. A un moment où l’on prend des assurances sur tout, cela ne garantie de rien… Plan de carrière ? Tout aveuglé que l’on peut-être par un objectif, on rate souvent ces petits riens que nous croisons et nous semblent inutiles pour atteindre cet inaccessible rêve. Pourtant. Comme dans le noir, je ne savais rien de moi et espérais que les autres me tendent la main pour m’accompagner vers les lumières de la gloire… Lumière oui. Gloire ? J’ai gagné des prix, et souvent ai regretté d’avoir triomphé sans  gloire puisque le seul à concourir… Rien à corriger une injustice, à construire, écrire un chapitre plus fraternel, plus solidaire.

Finalement, comme l’orchidée, c’est dans le noir que je me suis épanoui avant de trouver la lumière. Demain ? Peut-être une rencontre avec toi, vous qui me lisez parce que vous n’êtes pas d’accord, parce que vous voulez en savoir plus, parce que vous sentez que ce sont des mots qui vous expriment… Qui sait ? A demain.

Pascal Parsat

Auteur, comédien, metteur en scène, professeur d’art dramatique aux Conservatoires de Paris, Fondateur et Directeur artistique du Centre Ressources Théâtre Handicap (www.crth.org) aujourd’hui considéré comme ERP Culturel de référence, dont ce sera les 20 ans en 2013. Il a impulsé de nombreuses actions pour la prise en compte, l’intégration, l’accès à la culture des personnes handicapées, à tous les niveaux d’une vie de culture. Les visiteurs du Noir, Le Pôle formation et éducation artistique Acte 21, des expositions, des performances… A ce titre il a reçu la Médaille Beaumarchais, pour son travail au bénéfice des auteurs de théâtre. Il vient d’être honoré du SILMO d’or pour sa carrière et son travail pour les personnes déficientes visuelles.

Actualité :

Sortie de son livre « Cultiver son jardin secret » aux Editions universitaires d’Avignon dans la collection « Leçon de l’université ».

Cet ouvrage existe en différents formats (livre audio, livre gros caractère, livre de poche).

 

par Martine LOGIER, responsable des cartes blanches.

 

 

Réactions

  1. 25/2/2013 – Un théâtre dans le noir qui va « au bout d’une sensation, d’une émotion, d’un rêve », c’est le sens même du théâtre! Le noir n’est-il pas « le refuge de la couleur » ? Merci Pascal Parsat ! J’ai lu votre carte blanche avec beaucoup d’attention parce que je suis d’accord, parce que je veux en savoir plus, parce que je sens que ce sont des mots qui m’expriment, parce que vous vous détournez de la fosse où certains clairvoyants se laissent tomber parfois.
    Basma Ferchichi, comédienne / professeur de Théâtre & Arts du spectacle 
  2. 29/11/2012 – Merci pour tout ce que vous nous dites, merci de parler de Jacques Copeau dont arrive ce qu’il y a de plus valable en France,
    merci de nous rappeller que nous sommes là pour réaliser notre rêve
    Avec vous

    Laurence Mercier (promo 1956) 
  3. 19/11/2012 – Merci Pascal,
    J’ai été bouleversée et suis de très près touchée, puisqu’après une longue maladie évolutive, je suis aujourd’hui en fauteuil. Au théâtre, j’ai su m’y adapter en jouant une pièce que j’avais écrite à l’Atalante et au Petit Hébertot “Grain de Sable” (ed. de l’Amandier) et très dernièrement, écrit et mis en scène : SEP en Scène initié par les laboratoire Novartis pour 3 comédiens…
    On va se rencontrer, un jour
    Je  l’espère
    Isabelle Janier (promo 1982) 
  4. 17/11/2012 – Chère Martine,
    Le texte de Pascal Parsat est magnifique…
    Merci. Grosses bises

    Laura Koffler-Géry (promo 1977)

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