Représenter les autres, le monde, la vie, soi-même, ses peurs, son cul, sa crasse, sa grâce. C’est le projet inscrit dans le geste même de l’écriture théâtrale. Rassembler un matériau à représenter le monde, intimité infime ou épopée humaine. Malgré lui le plus souvent, tout signe écrit reflète la société qui l’entoure. Son indigence, sa vacuité aussi. Hors du monde, les gens de théâtre représentent et transfigurent le monde, inspirés par lui. Mal inspirés ; la forme de leur inspiration reflète parfois l’indigence toujours imprévisible du monde. Il pourrait s’agir d’une tentative d’invention de la représentation des autres et du monde, depuis les accidents de la parole, les atermoiements et les approximations, les identités révélées par la parole, la peur, la monstruosité comme la beauté, dévoilés quelques part entre les mots, avec eux ou à côté. Chacun se trahit par son langage comme on finit par mériter la gueule qu’on a. Le théâtre démasque la parole par la parole, c’est pour ça que la télé repose ; elle vomit du connu, revomit du reconnu. Le plateau, porté par la parole dans l’inconnu, dévoile celui qui la dit, celui qui en dit une autre comme celui qui se tait.
Disons ça, trois choses comme cruciales : l’épopée, la forme à réinventer sans cesse, et la vie matérielle et partagée de l’acteur qui atteint au sublime ou alors crève (ce que je veux dire : « acteur, soit tu atteins au sublime, soit tu vas mourir – sur l’air de vas chier. ») Rond-Point, Comédie-Française, Théâtre des Déchargeurs ou de la Bruyère, théâtre du Marais, les métiers restent les mêmes ; à la marge du monde dont nous ne sommes jamais pour autant des étrangers ou des inactifs, nous travaillons à le représenter, à mettre en voix, en corps et en scène ses figures abjectes ou merveilleuses. Il s’agit de peindre nos failles, les panser, les penser pour les comprendre. Projet intrinsèquement humble, puisque dérisoire. Projet intrinsèquement prétentieux, parce qu’il s’agit de sauver le monde et sa peau à chaque seconde. Nous sommes des clowns dotés d’outils, nourris d’aspirations illusoires. Tout ça pour dire que nous ne sommes pas des politiciens aux stratégies guerrières. Nous ne sommes pas des traders au cynisme inconséquent. Nous ne sommes pas les pays en guerre. Nous sommes des bouffons graves, nous avons des projets et des ambitions. Les luttes fratricides, les stratégies d’attaque et les guerres intestines devraient ne se poursuivre que sur les plateaux. Pas entre nous. Au moins ça.
Compositeur, metteur en scène ou interprète, auteur de « Et l’enfant sur le loup », « Pour l’amour de Gérard Philipe », « Bidules trucs », « Moi aussi je suis Catherine Deneuve », « Deux petites dames vers le Nord », « J’existe (foutez-moi la paix) » ou « Les couteaux dans le dos », Pierre Notte, ex-secrétaire général de la Comédie-Française, est auteur associé ié et conseiller au Théâtre du Rond-Point depuis 2009.
par Martine LOGIER, responsable des cartes blanches.
- 15/01/2011 – “Projet intrinsèquement humble, puisque dérisoire. Projet intrinsèquement prétentieux, parce qu’il s’agit de sauver le monde et sa peau à chaque seconde. Nous sommes des clowns dotés d’outils, nourris d’aspirations illusoires.” Pierre Notte, MERCI !!!
Corinne Merle (sur Facebook) - 16/01/2011
La plupart du temps le théâtre ne provoque qu’ennui poli où la banalité et le demi-engagement sont les deux mamelles d’idées et de conceptions bien pensées.
C’est pourquoi je ne crois pas à l’état d’âme que l’acteur illustre en jouant le texte.
La seule nécessité qui existe c’est qu’un acteur crée lui même la voie afférente et la voie éfférente d’où émerge une totalité organique, un lieu de lui même qui donne naissance aux mots.
Intrinsèque et répondant à la question: “Est-ce que ma VIE peux se passer de cela?”. Une nécessité de l’âme.
Etienne Lefoulon