L’ensemble des articles et réactions commentant l’annulation du concours 2021 du CNSAD est recensé et disponible sur la page d’accueil de leur site, au lien suivant.
Bonjour à toutes et tous,
Je vous écris aujourd’hui suite à la pétition que vous avez souhaité faire paraitre il y a déjà quelques temps.
Je souhaite ici vous exprimer ma tristesse, tristesse qu’aucune et aucun de vous n’ait souhaité me, nous contacter, pour au moins comprendre notre décision, si difficile à prendre, en examiner les éléments concrets, avant de lancer un appel à l’indignation, et à l’émotion, sans informations plus précises.
Je suis d’autant plus peinée que je n’ai cessé, depuis sept ans, d’être la spectatrice privilégiée de l’extraordinaire travail que vous accomplissez, et que je n’ai cessé d’exprimer mon estime et mon respect.
Nous avons sincèrement besoin de soutien, nous aussi.
Car vous savez notre engagement en faveur d’une véritable représentation du monde au sein des promotions, tant sur le plan social, géographique, et que nous n’avons jamais failli financièrement, et en termes d’accompagnement, et qu’il a fallu mobiliser des crédits chaque année. Plus encore, au cours de l’année 2020, où nous avons dû prendre le risque à présent maitrisé d’un déficit prévisionnel inédit, ainsi qu’ en 2021, en raison des immenses difficultés -que vous connaissez bien par ailleurs- que vit la grande majorité de boursières et boursiers qui constitue les promotions, et en raison du coût exorbitant de la vie et du logement à Paris, particulièrement critique en temps de pandémie.
Vous savez aussi que le budget d’aide aux étudiantes et étudiants équivaut presque à celui dépensé usuellement pour l’ensemble des mises en scène d’une année. En crise de Covid, le Conservatoire a inlassablement poursuivi son activité, versé des bourses supplémentaires, équipé chacune et chacun de matériel informatique et de connexion, donné accès à des services médicaux sans avance de fonds, organisé des tests sur place sur la base du volontariat, fourni tous les équipements nécessaires. Les élèves ont eu le courage de danser et de jouer masqués quotidiennement des spectacles dont on ne sait quand ils seront publics. Les captations se sont multipliées à grand frais pour soutenir l’insertion professionnelle, lorsque les négociations pour prolonger d’un an l’accès au dispositif d’insertion professionnel JTN aboutissaient.
Vous avez su que le concours 2020 a cependant été mené à son terme en octobre dernier, dans des conditions d’extrêmes incertitudes, et alors que des personnels avaient été contaminés en mars dans des proportions plus qu’inquiétantes.
Il existe un grand paradoxe entre le prestige du Conservatoire et le rapport entre mètres carrés disponibles et nombre d’élèves. Hors Esad, ce rapport est le pire de toutes les écoles supérieures. Nous disposons de deux salles qui peuvent accueillir plus de 19 personnes. Elles sont occupées par les 3e années, les metteures et metteurs en scène, les doctorantes et doctorants, qui se battent pour leur occupation. Partout ailleurs, nous sommes près de la fermeture quotidiennement, en termes d’aération, de surface, et enfin de danger. C’est pour cela, que le projet de Cité du Théâtre a vu le jour ; c’était suite au rapport d’enquête qui a analysé l’accident très grave qui a eu lieu peu après mon arrivée, en 2014. Ce rapport, noir sur blanc, signifie l’inadaptation des locaux à l’activité, et leur caractère dangereux à très court terme. Quel que soit le nombre de partenariats que nous avons tenté de trouver pour travailler hors les murs, des partenariats qui nous ruinent car personne ne nous aide gratuitement, la division des groupes de 30 élèves en trois et non en deux pour répondre aux obligations sanitaires a fait exploser nos difficultés précédentes.
Dans ce contexte nous avions le choix entre deux choses : allonger le cursus des élèves présents et entrants pour garantir leur droit et à une formation complète et à un accompagnement dans la vie professionnelle digne de ce nom, ou les abandonner aux circonstances et organiser un concours 21 dans des conditions sanitaires que nous ne maîtrisons pas. Nous ne POUVIONS pas accomplir les deux missions à la fois.
Permettez-moi de rappeler ce qu’est le premier tour du concours : concrètement, nous enjambons les candidates et les candidats, qui sont environ 6500 avec les « répliques » dans les couloirs, les escaliers, les toilettes, le sas d’entrée. Pour éviter d’être à l’origine et responsable de la création d’un cluster, donc potentiellement de la maladie ou de la mort des proches des personnes qui participent au concours, il nous faudrait étaler les épreuves sur quatre ou cinq mois, au bas mot.
Ici entre en compte un autre élément : le concours est organisé avec des jurés invités, mais également avec l’ensemble de l’équipe pédagogique, administrative et technique du Conservatoire. (Jurées et jurés, appariteurs et apparitrices, accueil, organisation, conditions techniques, secrétaires de jury). Le déplacer dans d’autres locaux signifie donc la cessation de l’activité sur site, et l’abandon des élèves présents.
Il n’existait qu’une solution pour faire ce concours 21, et elle m’a évidemment, comme chaque année à présent, était évoquée : YouTube.
Ici je dis et j’assume pleinement, réellement sans jugement pour celles et ceux qui soutiennent le contraire avec qui j’ai débattu en toute franchise (la sincérité et l’engagement de Laurent Poitrenaux avec qui je m’en suis expliqué sont totales et je les respecte), qu’il faudra attendre mon départ pour mettre en place la lecture de 1650 vidéos qui viendraient remplacer la rencontre sur le plateau, fut-elle cruelle, fut-elle difficile, fut-elle imparfaite, avec les candidates et les candidats. Je ne le ferai pas.
Je le ferai encore moins aujourd’hui, ou notre combat commun devrait être de rappeler que les captations en ligne ne remplacent pas, et ne remplaceront jamais, la présence vivante.
J’attire enfin votre attention sur le fait que depuis mon arrivée, nous avons chaque année pris plus d’élèves que ce qui nous est autorisé, demandant à chaque fois la validation du Ministère. Nous avons donc onze élèves de plus que notre « quota » officiel. Il y a bien les « trente places perdues » à court terme qui vous interpellent mais il y a aussi les places supplémentaires qui s’ajoutent chaque année.
Nous avons débattu de cette question en CHSCT et en CA, les élèves, les professeures, professeurs, et membres de l’équipe administrative et technique ont organisé un débat préalable, et ma proposition était loin de faire l’unanimité avant que les arguments soient échangés. J’étais à l’hôpital le jour de ce CA, et n’ai donc pas pu « argumenter » pour influencer l’assemblée. Au fil des débats, les représentantes et représentants de la communauté du Conservatoire, étudiantes, étudiants, enseignantes, enseignants, chercheuses, chercheurs, artistes, personnalités extérieures, ont considéré qu’il nous était malheureusement impossible de tenir ce concours. Je suis surprise qu’il puisse être souhaité qu’une décision construite dans un cadre démocratique d’enseignement supérieur et conforme à une gouvernance fondée sur le code de l’éducation soit, sans connaitre les éléments qui l’a fondée, contredite d’autorité par le Ministère, en mettant en cause la démocratie interne, l’expression syndicale, la parole des personnalités qualifiées et celle des représentants de l’Etat au sein du conseil d’administration, l’autonomie de fonctionnement de notre institution. Je ne peux que m’étonner de cet appel à un autoritarisme étatique.
Quand se déroulera le concours 2022, mon estime du travail pédagogique que vous accomplissez l’emportera sur la tristesse d’aujourd’hui, et l’effacera évidemment. Mais pour le concours 2021, l’arrivée de la troisième vague donne malheureusement raison à notre décision, et conforte notre souhait d’éviter une annulation de dernière minute, et de ne pas laisser des jeunes gens se préparer pour rien, parfois à grands frais. Si nous avions tenté de maintenir ces sélections longues et complexes, le désarroi que nous partageons toutes et tous en raison de la crise sanitaire aurait été alourdi de l’amertume des candidates et candidats devant une institution culturelle qui aurait manqué du sens de l’anticipation et de la défiance qui en serait la conséquence.
Je vous salue donc chacune et chacun sans aucune rancune, mais avec une réelle incompréhension. Votre texte, ainsi que la tribune de Madame Boeglin, sera néanmoins mis sur notre site, avec les paroles d’élèves, d’anciens élèves, de directeurs d’écoles semblables à la nôtre, et de l’équipe du Conservatoire qui souhaiteront s’exprimer. Les opinions et les éléments informatifs seront donc accessibles à toutes et tous sans censure, et nous pourrons retourner à notre travail.
Bien respectueusement,
Claire Lasne Darcueil