“RETARDS” par Sylvie Feit (promo 1969)


A Monsieur Michelli ( je demande pardon si j’écorche )
Lorsque je suis entrée au Conservatoire en 1966, j’étais bien jeune, plutôt genre bécassine que Beyoncé,  à peine 17 ans.
J’habitais en banlieue et je venais en train et métro. les trains n’étaient pas très nombreux à cette époque et lorsque j’en ratais un, il me fallait attendre longtemps avant le suivant.
Et je dois avouer que j’en ratais souvent et j’arrivais donc régulièrement  en retard.
Ma terreur n’était pas d’être en retard mais c’était le fait de passer devant le bureau du premier étage, gardé par un cerbère répondant au nom  de Monsieur Michelli.
Il me tétanisait, il avait une impréssionnante stature de garde du corps pour joueur de rugby.
Et chaque fois que je le voyais j’avais l’impression de me dévisser le cou pour arriver à voir ses yeux.
Les matins de retard, pour ne pas me faire choper par le Commandeur Corse, je testais toutes les stratégies possibles pour entrer en douce dans ma classe, celle de Robert Manuel qui était juste à coté du bureau.
Je marchais accroupie, à quatre pattes, je rampais, je marchais à reculons pour faire croire que je sortais de la classe !!!, je toussais, crachais, éternuais, pleurnichais,  parce que je sortais de l’infirmerie, ben oui ! j’équais balade, quoi!!
Mais voilà , chaque fois, cette voix grave que je n’oublierais jamais et qui me paralysait déclamait avec un accent bien Corse et bien lent
“A lors Ma de moi zel le Feite , en co re en re tard ???!!!”
Et moi , “Oui Monsieur mais c’est pas ma faute, je vous jure!”
En 1988, j’ ai été le modeste objet d’un reportage pour France 2 sur les événements de mai 1968.
Nous sommes allés tourner au Conservatoire. Je n’y étais pas retournée depuis ma démission en mai 68.
Nous sommes montés à l’étage pour tourner dans “ma classe” et, un peu plus tard,  j’ai entendu dans mon dos, The Voice ! grave et chaude ;
“Alors mademoiselle Feit, toujours en retard !!”
Je me suis retournée et j’ai vu, un beau bonhomme, vraiment pas très grand, un sourire merveilleux, des yeux rieurs et malicieux remplis de bonté et de bienveillance.
Je n’ai pas eu le temps de répondre le fameux “oui Monsieur mais ………..”, les chutes du Niagara et du Zambèze réunis m’ont engloutie et je me suis retrouvée dans ses bras avec la sensation de sentir mes cheveux coiffés en macaron et mes socquettes blanches.
Fondu enchainé….. noir…. Générique de fin.

Sylvie Feit.

Réactions

  1. 21/2/2013 – Merci Sylvie,
    pour ce très joli souvenir, superbement évoqué et tellement juste.
    Marie-Luce Bonfanti (promo 1978)

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