Robert ABIRACHED (publication du 21 Octobre 2008)


 

Il fut un temps où la Comédie-Française avait le monopole du théâtre parlé et où il fallait sous-traiter avec elle le droit de créer des pièces nouvelles. Il fut un temps, au lendemain de la dernière guerre, où la Comédie-Française était dotée d’une partie importante, voire exorbitante, des subventions dévolues au secteur public. Mais voici que, depuis une trentaine d’années, elle a retrouvé progressivement sa juste place dans le paysage théâtral français : la première par la qualité d’une nombreuse troupe permanente, par l’ampleur et l’intérêt de son répertoire, par son ouverture à l’art de la mise en scène à travers les trois salles dont elle dispose désormais, en ayant abdiqué la prétention de se prétendre le foyer unique ou primordial de l’invention théâtrale, pas plus que le point de référence suprême en matière dramatique. Et ce statut de « prima inter pares » lui convient d’autant mieux qu’il exclut tout impérialisme et qu’il lui interdit de phagocyter l’espace alentour. A elle de se concentrer sur ses tâches, de veiller à la pertinence des innovations qu’elle propose et des projets qu’elle patronne. C’est à sa troupe, brillante comme aux plus beaux jours, qu’elle doit sa renommée reconquise.

Et voilà que la presse nous apprend une assez incroyable tentative de mainmise par la Comédie-Française sur la scène nationale de Bobigny, sous prétexte qu’il est juste et bon qu’elle étende ses bienfaits à la banlieue. Impossible de savoir comment et chez qui est née cette idée, à prime abord saugrenue et à long terme potentiellement dangereuse. Du côté du ministère ? Il est vrai qu’on ne prête qu’aux riches. Des collectivités locales, et, dans ce cas, à quelles conditions et avec quelles compensations ? De l’administration du Français ? Et encore : qui a imaginé que, pour mener cette opération, annoncée avec une maladresse confondante, on pouvait faire fi de l’élémentaire politesse de prévenir le responsable d’un lieu internationalement réputé, comme si on avait définitivement renoncé à considérer les choses et les gens autrement que comme des jouets entre les mains du pouvoir, à quelque échelon qu’il se situe.

Je profite de l’occasion qui m’est donnée ici pour poser au moins ces questions qui intéressent au premier chef tous ceux qui font le théâtre d’aujourd’hui : élèves et anciens élèves du Conservatoire, acteurs et metteurs en scène de la décentralisation, comédiens-français, auteurs, sans oublier le public, qu’on traite de plus en plus comme une donnée inerte, tout juste bonne à nourrir des statistiques. Pour conduire une politique, au théâtre comme ailleurs, il faut un certain goût de la démocratie pratique (je veux dire : non objet de déclamation), une connaissance un peu concrète de l’histoire des œuvres, des lieux et de la vie, et, tout à fait modestement, un gros grain de bon sens et de précaution. Pour revenir à ces vertus, je ne crois pas qu’il soit besoin de nouveaux Entretiens de Valois.

Robert Abirached

 ©journal-laterrasse.com

Né à Beyrouth le 25 août 1930, Robert Abirached est écrivain, chercheur, critique dramatique et historien du théâtre. Détaché de l’université de Caen pour occuper les fonctions de Directeur du Théâtre et des Spectacles au Ministère de la Culture, il y resta de septembre 1981 à octobre 1988 ; il fut alors élu professeur émérite à l’Université de Paris X-Nanterre où il dirigea le département des Arts du spectacle jusqu’à son départ en retraite en 1999. Il a fondé le Master (anciennement DESS) Consultant culturel en 1992. Robert Abirached, qui ne cesse de questionner le théâtre en ses fonctions et ses missions, est l’auteur de plusieurs ouvrages, romans, pièces de théâtre, essais : Casanova ou la dissipation, Prix Sainte-Beuve ; L’Émerveillée ; Tu connais la musique ; Jean Vauthier ; La crise du personnage dans le théâtre moderne ; L’Amour dans l’âme ; Le Théâtre et le prince en 2 volumes, L’embellie, 1981-1992 et Un système fatigué, 1993-2004 ; La décentralisation théâtrale en 4 volumes, Le premier Age : 1945-1958, Les années Malraux : 1959-1968, 1968, le tournant, Le Temps des incertitudes : 1969-1981.

par Martine LOGIER, responsable des cartes blanches.

 

Réactions :

Serge Krakowski (21/10/08) : Il est de nombreuses inepties à dénoncer par ces temps de confusion. Celle que dénonce M Robert Abirached n’est pas des moindre….. Il en est d’autres encore plus proches dans cette belle maison qu’est le Conservatoire.
A croire que les institutions s’encanaillent se prenant des airs de liberté et d’insolence mais toujours au sein du velouté de leur conformisme.
Donc encore merci pour cette initiative des “Cartes blanches” et des réactions en chaîne qu’elles pourront susciter et qui sait aboutir à des actions.

Laurence Mercier (23/10/08) : Merci pour cette lettre d’information très intéressante et qui nous éclaire.

Catherine Eckerlé (24/10/08) : Le bon sens et l’intelligence ont parlé. Merci à vous. En espérant que vous serez entendu.

Odile Roire (10/11/08) : Oui oui, la vilaine Comédie-Française a voulu manger le gentil Bobigny… Scandaleux, affreux, tout le monde s’offusque en cœur. Consensus total. Mais qui parlera de l'”élémentaire politesse des responsables des lieux internationalement réputés” et qui ne prennent même pas la peine de répondre aux propositions de projets qu’on leur fait, qui font répondre leur secrétaire pendant qu’ils festoient, qui ferment leur porte à tout nouveau venu, à toute personne non-admise dans le “sérail” fut-elle ancien élève du C.N.S.A.D ou pas, tout créateur de spectacle (et d’autant plus “créatrice”) non-validé par je-ne-sais quelle instance supérieure – et sûrement pas par le public – l’intelligentsia indélogeable qui continue d’inviter ses vieux copains et ennuyer le public peint sur sa chaise et incapable de réagir de peur d’être jugé idiot. Qui ose en parler ? Qui s’en plaint ouvertement ?

 

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