Ronit ELKABETZ


La star et cinéaste israélienne, disparue ce 19 avril à 51 ans, défendait dans ses rôles et dans ses films un idéal de femme libre, passionnée et engagée.
Lu dans next.liberation.fr par Anne Diatkine

Ronit Elkabetz, par-delà les carcans

Quiconque a jamais rencontré Ronit Elkabetz, emportée par un cancer à l’âge de 51 ans, se souvient de son rire. Un rire qui dédramatisait l’intensité de ses propos, lestait sa flamme d’une minuscule distance, manière de dire «je ne suis pas dupe de moi-même et de mes contradictions, je ne me prends pas entièrement au sérieux, même si je fais tout avec sérieux». Quiconque l’a jamais croisée s’est aussi forcément fait la remarque, ne serait-ce que pour l’oublier aussitôt tant il n’est pas politiquement correct de noter en premier lieu la beauté d’une femme, qu’elle était magnifique. Et la preuve qu’il est possible d’avoir la prestance d’une diva et l’humour d’une gamine.

Ronit Elkabetz était déterminée et engagée jusqu’au bout des ongles dans tout ce qu’elle entreprenait – un film, un rôle, une salade, une plaisanterie, l’achat d’une robe, la mode, tout avait de l’importance -, mais elle évoquait souvent le hasard lorsqu’elle expliquait comment elle était devenue actrice. En étant happée dans la rue, après son service militaire, pour passer l’audition de ce qu’elle croyait être une publicité. Tandis que ses interlocuteurs lui racontaient une histoire d’amour entre un rabbin et Lilith, elle attendait poliment qu’ils lui précisent quel était l’objet à vanter. On lui répond «fiction». La jeune fille ignore jusqu’au sens du mot. «Le lendemain, je suis revenue passer un autre bout d’essai avec la conscience qu’il s’agissait d’incarner toute une vie. C’était fou. Je tremblais de partout. Lorsqu’on m’a rappelée pour m’annoncer que j’étais prise, j’ai compris que jusqu’alors, j’avais été une homeless dans ma propre vie et que je venais de trouver mon toit», nous confiait-elle en 2009. Ce basculement s’opère en 1989.

Emotion.
Ronit Elkabetz est née en 1964 à Beer Sheva, une petite ville du sud d’Israël, toute proche de Gaza. Ses parents, une mère coiffeuse et un père d’abord postier, puis financier dans les postes israéliennes, avaient choisi cette ancienne et triste oasis après leur départ du Maroc, un an avant sa naissance. Ils se sont plus tard installés à Haïfa, à l’époque rêve de l’harmonie entre Israéliens et Palestiniens. Ses parents, encore vivants, sont strictement observants, mais Ronit, elle, avait une relation plus souple, personnelle, et de toute manière critique avec l’astreinte et les interdits, comme le montre la trilogie de films qu’elle a tournée en tandem avec son frère Shlomi, tous inspirés de la vie de sa mère. Prendre femme, tourné en 2004, est l’histoire de Viviane, asphyxiée par la religion et sa famille. «J’étais de chaque plan, nous avait dit Ronit. La jouer ravivait des émotions de l’enfance alors même que j’avais besoin de toute mon énergie pour porter le chapeau de réalisatrice.» Pendant le tournage, elle reste dans l’humeur «incontrôlable» du personnage. «J’étais peu abordable. C’était très difficile à supporter pour mon entourage, l’équipe et moi-même. Shlomi m’a équilibrée dans cette folie.» Le deuxième, les Sept Jours, également sous la forme d’un huis clos, questionne tout autant la famille et le poids des préceptes. Selon le rite de la Shiv’ah, pendant une semaine, les proches d’un défunt se recueillent sans sortir de la maison auprès du corps du mort. Les hommes ne se lavent pas, ne se changent pas, déchirent leurs chemises. L’une des fonctions des rituels est de contenir l’émotion, pourtant, la tension monte et les rancœurs recuites explosent aux visages. Dans le dernier film, Gett, le procès de Viviane Amsalem, elle montrait son héroïne, en proie au tribunal rabbinique, mettre plus de cinq ans pour obtenir le divorce avec un mari retors et toujours amoureux d’elle, cherchant à la rendre folle tout en la retenant dans d’interminables procédures. Toujours sous la forme d’un huis clos. Si le troisième volet de la trilogie, sorti en 2014, provoqua en Israël de vifs débats, la loi, qui interdit aux femmes de divorcer sans l’accord de leur mari et bannit le mariage civil entre juifs, est toujours de mise.

Noyau.
Trois huis clos donc, pour une femme libre comme l’air, qui vivait entre Tel-Aviv et Paris – beaucoup à l’hôtel à Paris, et surtout à Tel-Aviv ces dernières années – et se laissait surprendre par la passion. C’était ainsi qu’elle avait décidé, en 2000, star de 36 ans en Israël, de quitter son pays pour la France, où elle était inconnue et dont elle ne parlait pas la langue. Elle avait confié à Libération : «Le plus beau cadeau que je me suis offert, c’est cette seconde naissance. J’aurais très bien pu continuer d’enchaîner les projets en Israël, mais j’avais besoin d’ouvrir une nouvelle porte : pour la trouver, le seul moyen était de rompre avec mes repères et de recommencer ailleurs, à zéro.» Impossible d’être actrice dans un pays dont on ne connaît pas le langage. Elle entre chez Ariane Mnouchkine pour un stage, mais se retrouve surtout à faire la vaisselle. Elle nous avait raconté que pendant qu’elle briquait assiettes et tasses sales, son téléphone sonnait pour lui proposer d’être Lady Macbeth ou Cléopâtre dans son pays. Star et femme de ménage à la fois : peu ont été les deux en même temps. Faut-il partir pour exaucer une vocation cachée même à soi-même ? C’est en France, loin des siens, que le besoin de faire ses films autobiographiques et incandescents a pu émerger. C’est très vite et très loin du cercle familial qu’elle écrit, en quelques semaines avec son petit frère Shlomi, le premier jet de Prendre femme.

Elle jouait dans ses propres films mais aussi dans ceux des autres (Keren Yedaya, André Téchiné, Amos Gitaï, Eran Kolirin, Brigitte Sy, ou encore Fanny Ardant, à qui elle pouvait faire penser), mettait sur le même plan les métiers d’actrice et de cinéaste. Selon elle, concevoir un rôle exigeait la même énergie. La seule différence, disait-elle, est que lorsqu’on réalise, la bataille que l’on mène pour atteindre le noyau du personnage concerne le film entier. Tout connaître, tout savoir, être au plus proche : Ronit Elkabetz avait des relations fusionnelles avec ceux qu’elle aimait. De son frère Shlomi, elle disait : «On partage tout. Pour concevoir un film, on a besoin d’être au plus proche.» Et aussi qu’elle avait attendu son cadet avant de réaliser son premier film, car ils avaient toujours su qu’ils tourneraient ensemble. Elle était mariée depuis sept ans avec un architecte, mariage forcément religieux puisque célébré en Israël. Il avait eu lieu un mois après leur rencontre. Leurs enfants, des jumeaux, ont 4 ans. La trilogie désormais achevée, elle travaillait avec son frère sur une autre héroïne de la vie réelle, tout autant passionnée. Un genre de double, au moins pour l’intensité : Maria Callas.
Anne Diatkine

Ronit Elkabetz devait recevoir la semaine dernière à Paris le Prix Bernheim. Malheureusement son état de santé ne lui a pas permis de s’y rendre… Elle a adressé un texte – son dernier message – à la Fondation du Judaïsme français, lors de la remise de son prix des Arts – Prix Antoine et Francine Bernheim 2016, le 11 avril dernier au Théâtre du Vieux Colombier. A lire ici, publié par ©coolisrael.fr.  ► coolisrael.fr

A lire aussi :

l‘article de Isabelle Regnier, dans lemonde.fr

l’entretien avec le critique de cinéma Ariel Schweitzer, dans telerama.fr

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