Auto-interview entre un chargé de relation publique débordé et un metteur en scène pressé.
Pourquoi Keats ?
Il concentre dans son oeuvre et sa très courte vie beaucoup de ce qu’est la poésie et de ce que c’est que d’être poète : la puissance de l’attention au monde, une inventivité sans fin, la connaissance des formes mais aussi la vitesse, l’humour, la virtuosité. Keats n’était pas destiné à être poète. Fils de palefrenier, il est, entre 16 et 21 ans, apprenti “Chirurgien-apothicaire”, il exerce même un peu, au Guy’s hospital” de Londres et, dit-on, fort bien. Parvenu à sa majorité, il déclare à son tuteur (il avait perdu ses deux parents) que désormais, “il vivra de sa seule poésie”. Un des ses frères émigre, un autre meurt de tuberculose, il ne voit presque jamais sa soeur car leur tuteur ne le souhaite pas. Il y a donc chez lui à la fois une connaissance, disons, de la douleur et du monde comme il ne va pas mais aussi une foi (une joie ?) dans la puissance de la beauté. Reste qu’il garde avec elle une distance qui nous parle : “Je suis parfois d’une scepticisme tel, qu’il me semble que la poésie elle-même n’est qu’un feu follet (…)”
Vous menez une compagnie, quel est votre premier souvenir ?
En 1986, dans le cadre de la série télévisée Série noire, TF1 diffusait un film de Jean-Luc Godard Grandeur et décadence d’un petit commerce de cinéma. Tout est dit dans le titre, non ?
On aimerait vous poser cette question, la mise en scène est-elle un art de l’intime ?
Il y a quelques jours, j’ai fait un rêve, c’était un enfant qu’il me fallait cacher dans une valise et dont je m’inquiétais, emporté par les péripéties du rêve, de ne pas l’avoir libéré. Une inquiétude qui m’a éveillé.
Cet enfant qui, on s’en doute, vient de loin, c’est peut-être aussi ce spectacle que vous irez peut-être voir ?
Il y a vraiment, pour vous, un lien entre poésie, intimité et politique ?
Nous sommes pris dans cette contradiction : “commercer” de ce qui nous tient debout, de l’espérance et celle notamment de donner jour à ce qui, si peu que ce soit, échappe…
Iil y a quelques jours, un spectacle : LA MORT D’EMPÉDOCLE de F. Hölderlin mis en scène par Bernard Sobel. De ces spectacles qui font “passer un chameau par le chas d’une aiguille”, qui font tout entendre, donnent aux acteurs une force terrible et aux spectateurs le sentiment d’avoir été libéré de l’envoûtement dans lequel nous vivons.
Deux poètes, exactement contemporains, l’un mort très jeune, l’autre finalement retiré du monde, fou dit-on.
Sans doute faut-il un courage certain, un peu d’inconscience, à réclamer ce qui à nombre d’époques semble improbable : la joie, la justice, l’amitié.
“J’ai pour ambition de faire du bien au monde” dit Keats dans une lettre.
Un spectacle peut-il reposer sur cela ?
Non bien sûr. De même que Mallarmé disait au peintre Degas qui lui avait envoyé des poèmes : Degas, on ne fait pas de poésie avec des idées, on aimerait dire qu’on ne fait pas de théâtre avec des idées. Il y a d’abord tout ce bricolage, cet artisanat, d’écriture, de diction, de mise en musique, d’espacement, de silence, de mouvement.
Mais tout de même ça encore. Il y a quelques jours encore, autre très beau spectacle, ANA, d’après À nos amours de Pialat mis en scène par Laurent Zizerman. Et dans le programme, il y avait cette citation, la réponse de Mizoguchi (le cinéaste) à la question d’un journaliste qui lui demandait ce que c’était que la mise en scène : “C’est l’homme. Il faut bien l’exprimer”.
Avez -vous quelque chose à rajouter ?
Oui.
Et ?
“Si la vie était un bassin de natation la phrase en serait le tremplin
À condition d’aimer voltiger au-dessus de l’eau “
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