Ce temps est le nôtre
Ce temps est le nôtre. Sur les photos de classe, pourraient apparaître ceux qui ont choisi le papier et le crayon et ceux qui se sont précipités dans la violence.
C’est de notre histoire intime qu’il s’agit.
Celle de la transmission : dans les familles, dans les écoles, dans les cafés et dans les théâtres.
Il ne faut pas négliger l’importance pour demain de nos rêves et de la manière dont nous choisissons de les mettre en œuvre. La représentation des humains (et je n’évoque pas ici un théâtre « politique » au sens restrictif du terme, mais bien la force brute de l’art et de la pensée) ne prétend pas les « guider ». Elle leur présente un miroir où des réalités peuvent être traversées collectivement, et non dans une fragile solitude. Que ce miroir prenne les formes les plus diverses, les plus libres, les plus tragiques ou les plus humoristiques, il constitue un espoir actif en l’autre, une célébration de la vie et de la conscience. C’est là notre force, il nous appartient de la faire rayonner. De la transmettre. De tenir notre place.
Je crois profondément au rayonnement « par l’exemple » des quelques-uns dans le monde qui s’attachent à faire croître notre connaissance de l’être humain ; à découvrir les infinités de possibles qui font que la condition humaine grandit, s’enrichit, se souvient, et marche vers plus d’HARMONIE. Tous, acteurs et spectateurs, sommes à la recherche de cet ACCORD, au sens musical du terme, qui au sein d’une représentation nous donne simultanément le sentiment que l’on s’est adressé à notre être le plus intime, et celui d’appartenir à une communauté. Et c’est réel. Nous appartenons à une communauté. Une communauté qui n’est pas, qui ne peut être impuissante, au regard de l’obscurantisme, de la brutalité, de la misère intellectuelle qui, saisissant toutes les occasions que procure le malheur, prétendent accéder un jour au pouvoir dans notre pays démocratique.
Nous sommes, comme tous les passionnés, occupés chaque jour à notre artisanat, et facilement engloutis par lui : « de quelle couleur la robe – c’est quoi cette réplique – qui a posé cette échelle au milieu du couloir – où sont passés les tapis – le courrier est-il arrivé – quelqu’un sera-t-il un jour à l’heure dans cette école – pourquoi on m’a dit non et à lui oui – il y a du bruit dans le hall – c’est toi qui as emprunté ce livre – comment cette ampoule peut-elle griller cinq fois de suite – les contrats sont-ils prêts – y-a-t-il quelqu’un qui dépose son portable dans son casier qu’on me le présente – je tremble trop je ne peux pas entrer sur le plateau – je n’arrive plus à être ému… ». Tout cela, si anecdotique, si attachant – un monde de détails –, nous pouvons l’accompagner de notre conscience de l’autre, non pas dans une tolérance molle et de bon ton, mais dans une confrontation loyale, vivante, joyeuse et respectueuse, parce que RIEN de ce que nous essaierons en ce sens ne sera perdu, tout profitera à nos vies et à celles de ceux qui viennent après nous. Pensons à ceux qui ont seize ans aujourd’hui, qui voteront dans deux ans dans notre pays démocratique, et n’acceptons pas qu’ils aient à choisir entre la peur et la peur. Peu capables, nous le sommes parfois, de transmettre à nos enfants la certitude qu’ils sont libres. Capables aussi, sans penser à mal, de les abandonner au repli sur soi, à la contemplation du nombril, au fantasme et à la crainte de tout autre. Ne remettons plus à demain le temps de l’écoute et de l’accompagnement des jeunes générations. Ils ont besoin de nous, si imparfaits que nous soyons – et peut être d’autant plus – : ne laissons pas l’héritage de nos libertés, de Mai 68, à ceux qui de tous côtés en ont compris l’ampleur peut être mieux que nous-mêmes, et sont déterminés à le détruire.
Peut-être avions-nous un peu oublié la chance que nous avaient laissée en héritage les hommes et les femmes qui ont hurlé en riant « l’imagination au pouvoir ».
Peut-être avais-je trop peu souvenir, moi aussi, que si j’ai la chance de diriger aujourd’hui le « Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique », c’est grâce aux cris de colère et de joie de femmes très jeunes alors – jeans pattes d’éléphant et cheveux aux vents – qui scandaient « ce n’est/qu’un début/le combat con/tinue », sans crainte ni de Dieu ni de la vie, et de celles, plus âgées déjà, qui s’asseyaient par solidarité à côté de cette jeunesse dans les « sitting », parce qu’elles avaient la sagesse de croire qu’il s’agissait de bien autre chose que de désordre.
Je fais des vœux vers vous, pour la communauté des humains qui choisissent comme seules armes le papier et le crayon. Ces vœux sont ceux d’un pacifisme combatif, d’une fantaisie grave, d’un égoïsme rayonnant de générosité. Je nous souhaite résolument la pensée, le partage, et la force collective de nos joies les plus simples.
par Martine LOGIER, responsable des cartes blanches.
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