Les visages familiers de la saga Rocky ne sont pas les seuls à nous dire adieu ces derniers temps. Voilà que sa voix française s’éteint à son tour. Déjà sonnés par les disparitions récentes de Burt Young (alias à l’écran l’ineffable Paulie, le frangin d’Adrian) et de Carl Weathers (le puissant Apollo Creed), nous voilà KO debout après l’annonce, ce mardi 13 février, du dernier soupir d’Alain Dorval. De son vrai nom Alain Bergé, père de l’actuelle ministre de l’Égalité des femmes et des hommes Aurore Bergé, le comédien doubleur attitré de Sylvester Stallone (dans 48 films) depuis 1976 nous quitte, emporté par un cancer, à l’âge de 77 ans.
Les enfants de l’ère des VHS, encore eux, ont grandi encerclés de productions américaines faisant appel au timbre grave râpé au gravier de cet ancien du Cours Simon et du Conservatoire d’art dramatique de Paris. Avant même qu’un magnétoscope ne trône dans le salon familial, à l’aube des années 1980, beaucoup d’entre nous virent leurs tympans foudroyés au cinéma par la tessiture virile et ombrageuse du seigneur Dorval. Pour l’auteur de ces lignes, c’était dans Rocky III, l’œil du tigre, troisième volet des exploits de notre champion, sorti en janvier 1983 dans les salles françaises.
Voix tricolore de Stallone-Rocky Balboa, dont il fut l’insurpassable alter ego tricolore, malgré de vaines tentatives pour le remplacer de la part de certains studios (il ruait un peu trop dans les brancards sur les conditions du métier), Dorval nous fit aimer l’acteur et le boxeur fictif, sur le champ.
Dans Rocky III, son interprétation magnifiait à merveille les joutes verbales hilarantes entre Rocky et Paulie (campé en VF par feu Serge Sauvion), avant de moduler vers la tendresse la plus touchante pour les scènes avec Adrian, l’épouse de l’étalon italien (incarnée par Talia Shire, doublée par Béatrice Delfe)… Au milieu du film, Dorval nous arrachait de chaudes larmes lors de la déchirante mort du vieil entraîneur Mickey et de la scène de ses funérailles.
Dans Rocky premier du nom (signé John G. Avildsen), souvent découvert par les ados des eighties en K7 vidéo ou lors de sa première diffusion sur FR3, en 1985, Alain Dorval et son bouleversant « Adriaaaan ! » dans le dernier acte continuèrent d’embuer nos iris jusqu’à ce que s’en échappent de discrets sanglots, que l’on tentait vainement de cacher à la famille réunie devant le poste.
Certes, pendant longtemps avant la réhabilitation de Stallone, il y eut bien des rustres pour moquer, parodier, railler la supplique rocailleuse de Rocky-Dorval à la frêle et forte Adrian, qui rejoignait en courant sur le ring son homme ensanglanté juste après sa défaite face à Apollo Creed. Durant un temps, trop longtemps, les rires fusèrent chez certains face à ce final qui, pourtant, nous donnait la chair de poule. Peu importe. Indifférents aux insensibles persifleurs, on louait et relouait encore au vidéo-club du quartier la VHS de Rocky pour savourer jusqu’à la lie ces ultimes secondes d’un romantisme inouï, portées par les poignants accords de Bill Conti et sublimées en VF par le talent d’Alain Dorval.
En 1983, dans Rambo de Ted Kotcheff, le roi Dorval mérita plus que jamais sa couronne en accompagnant l’émouvante confession finale de John Rambo-Stallone acculé par la police après une folle course-poursuite, craquant dans les bras de son mentor, le colonel Trautman, la voix brisée par le traumatisme des horreurs de la guerre du Vietnam. Les larmes coulèrent, une fois de plus. Satané Stallone, expert en scènes crève-cœur. Brillant Dorval pour transcender le monologue de ce Rambo tragique dans la langue de Molière sans perdre une miette de sa dévastatrice détresse.
Réduire Alain Dorval à son épopée vocale stellaire avec Sylvester Stallone serait certes injuste : le comédien grande gueule (logique) prêta ses cordes rugueuses à une myriade d’autres acteurs anglophones (dont Nick Nolte, Danny Aiello ou Jeff Bridges – inoubliable Flynn dans Tron en 1982), au cinéma ou sur le petit écran. Mais on l’entendit aussi dans les VF de plusieurs dessins animés, jeux vidéo, sans oublier un bon quintal de publicités ainsi que l’indicatif de la station Skyrock. Il s’illustra enfin dans une dizaine de pièces de théâtre et, par ailleurs, monta quelques affaires en parallèle de sa carrière artistique.
Discret jusqu’au bout, adulé par les éternels ados de la génération X, Alain Dorval, qui aura doublé Stallone jusqu’à Expandables 4 en 2023, rejoint le paradis de sa profession aux côtés d’autres grands noms du genre, récemment disparus. L’écho de sa grosse voix protectrice n’est pas près de quitter nos mémoires de cinéphiles reconnaissants.
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