Metteur en scène, réalisateur, comédien, il s’est éteint le 15 février. Il aura été, depuis les années 70 et jusqu’à l’an 2000, un homme de théâtre exceptionnel, audacieux poète de la scène.

On ne l’oubliait pas. On n’oublie pas les artistes qui vous ont étonné, enthousiasmé, les artistes qui vous ont procuré des émotions profondes et qui ont éclairé pour jamais des œuvres.

Denis Llorca s’est éteint le 15 février. Il aurait eu 75 ans le 16 juillet prochain. Denis Llorca a été l’un des jeunes metteurs en scène les plus étonnants des années 70. Il n’aimait que la haute poésie, à commencer par Shakespeare et Claudel. Il venait d’une famille de comédiens, Son père, René Llorca, dit Serge Lhorca a été surtout un très prolifique acteur de doublage qui est mort il y a plus de dix ans. Sa mère, elle aussi, était comédienne. Geneviève Rhuis joua sous la direction de son fils dans Oh les beaux jours de Samuel Beckett et aussi avec la belle compagnie d’Alain Enjary et Arlette Bonnard. Pour ne citer que quelques étapes. Elle dessinait aussi des costumes et fut longtemps, à Besançon, un professeur excellent.

Denis Llorca a trois enfants.  Juan Lorca, travaille dans la danse, la musique, le doublage. Mais on l’a aussi applaudi dans des spectacles, parfois sous la direction de son père, à Alba-la-Romaine ou aux Arènes de Lutèce. Denis Llorca est aussi le père de deux filles, deux artistes aux grands tempéraments et qui sont, comme leurs parents, libres et audacieuses. Odja Llorca est la fille d’Anne Alvaro qui fut l’une des hautes flammes des premières créations de Denis Llorca. Chanteuse à très belle voix, comédienne, Odja ressemble à sa mère et on a souvent l’occasion de l’applaudir. Sara Llorca, elle, est la fille de Catherine Rétoré. Comédienne, metteuse en scène, fondatrice de compagnies, une très belle artiste, elle aussi. Et entreprenante.

On ne veut pas donner une couleur trop mondaine à cet hommage, mais la galaxie Llorca est lumineuse et on l’admire. Et on pense à toute cette famille rare.

Le jeune Denis avait réussi le concours du Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Il appartient à la promotion 1969. Une génération très fertile, très sensible, des personnalités qui sont curieuses de tout et passionnées par la littérature. On ne refera pas ici tout le parcours de Denis Llorca, mais il signe ses premiers spectacles avec une fougue inoubliable. Llorca c’est le cœur, c’est la flamme, c’est l’intelligence d’un homme de troupe. Anne Alvaro est de toutes les aventures shakespeariennes engagées à l’orée des années 70. Dès 1969, il monte et joue Roméo et Juliette. Dès cette époqueil va vers le jeune Claudel de Tête d’Or. Là aussi, il joue et met en scène. Un lyrique, Denis Llorca. Qui dès ses premières mises en scène parvient à donner une idée magnifique des poètes, mais sans décors extravagants. En donnant quelques signes, en s’appuyant sur la langue et les interprètes.

Tous ses spectacles seront marqués par cette esthétique et par l’engagement des comédiens. A la toute fin de son chemin de metteur en scène, il signera une autre mise en scène de Roméo et Juliette, en 2007, dans le cadre du théâtre que Jean-Luc Jeener fait vivre avec force et cœur, avec le même amour du théâtre et des grands textes et des comédiens, au Théâtre du Nord-Ouest, à Paris.

On l’avait retrouvé, plusieurs saisons auparavant aux Arènes du Lutèce, au cœur du 5ème arrondissement, déployant dans ce bel espace de grands romans et notamment Les Misérables de Victor Hugo. Ce fut superbe et si l’on se souvient bien il y avait dans la distribution son fils et l’une de ses filles.

Après son Tête d’Or qu’il aimait depuis l’adolescence, il monta surtout son très cher Shakespeare, La Nuit des rois, Henri IV, Falstaff, Hamlet, et plus tard Kings qu’il nommait son « adieu à Shakespeare » en 1988/ Mais il mit en scène pourtant encore la version lyrique, par Verdi, de Falstaff, en 1982, à l’Opéra de Lyon. Et monta plus tard d’autres pièces du grand Will.

En cette année-là, il est nommé directeur du centre dramatique national de Besançon et de Franche-Comté. En été 1982, il met en scène une adaptation superbe, longue, en deux parties, des Possédés de Dostoïevski. Le décor, une grande et splendide verrière, lui joue un mauvais tour : le mistral, une nuit, abat la haute paroi…Mais l’essentiel est dans nos mémoires : Maria Casarès, qui aimait profondément Denis Llorca et la distribution, avec des comédiennes et comédiens dont certains ne diront rien aujourd’hui aux plus jeunes, même les apprentis comédiens qui ne cultivent pas les mémoires.  Lui-même joue Stavroguine), et il y a Michel Vitold, Nada Strancar, Françoise Thuriès, Catherine Rétoré, Jean-Paul Farré, Bernard Ballet. De grandes voix lyriques comme l’était Alain Cuny qui l’aimait aussi beaucoup et travailla avec le jeune voyant que fut Llorca.

Dans ce grand parcours des planches, il trouve l’énergie de signer des films. Et il y avait en lui un très grand réalisateur, Un héritier des grands réalisateurs des débuts de cet art.

Denis Llorca aimait les épopées. Qui s’étonnera qu’il ait monté une adaptation des Chevaliers de la Table Ronde. Et puis, évidemment, il a abordé, Cyrano de Bergerac comme Les Mille et une nuits, mais aussi Sophocle et Mozart. Bref, un immense homme de culture aux curiosités immenses, pétri de savoir mais aussi sachant briser avec les convenances, un inventeur, un innovateur. Comédien, il a toujours gardé le fluide d’un jeune romanesque, un jeune premier. Et même plus « vieux », mais jamais résigné, il gardait un enthousiasme, un désir de partager.

Quelqu’un que les tutelles auraient dû soutenir sa vie durant. Ce fut loin d’être le cas.

Sa famille, ses amis, lui diront adieu au crématorium de Vernouillet, mercredi 21 février, à 17h30.