De l’architecture jusqu’au théâtre.
Un nouveau théâtre a vu le jour à Anglet. Les plans se plient et se contournent, épousent et repoussent le périmètre de la parcelle et affirment ainsi la position centrale du bâtiment, à côté de la bibliothèque et face au marché. Les cieux changeants de l’Atlantique font chanter les lattes du bois brut dont les teintes varient selon l’exposition aux éléments et l’alternance de vides et des ouvertures.
Un parvis se creuse pour marquer un sas entre le hall vitré et les magnifiques lettres géantes de Quintaou, le nom du théâtre. Par transparence, le mur écran du bar restaurant offre ses enseignes peintes en rouge, objet d’un «1 %» investi par le graphisme réjouissant de Franck Tallon qui a ponctué l’espace de la convivialité d’une mémoire commune.
Isabel Heraud et Yves Arnaud, les architectes, ont voulu assurer cette perméabilité entre la ville et le bâtiment hébergeant la salle, comme pour témoigner de l’emprise du théâtre sur l’espace public. Dès l’entrée, le spectateur ne peut être que sensible au déploiement de la théâtralité, celle qui se joue sur scène, entre l’illusion et l’insaisissable réalité d’un espace commun, forcée à s’inventer, car rien n’est spontanée dans le commun. Les architectes ont conçu une salle originale, en vignoble, dissymétrique, privilégiant une forte inclinaison de la pente à l’éparpillement des sièges en largeur. Cela donne une salle compacte, dense, avec visibilité depuis tous les sièges. L’acoustique est assurée par des éléments en bois géométriques dessinés sur mesure et dont la variation des volumes contribue à l’optimisation de l’écoute.
Lors d’une visite dédiée à l’architecture, le bâtiment était vide, mais prêt à accueillir. Nous sentions déjà le public s’émoustiller dans le hall d’entrée, commentant l’auteur ou le metteur en scène.
Dans la salle, nous le voyions prendre place, se débarrasser ses habits de ville et ses habitudes de la vie. Nous entendions le frottement des corps et de matières dans leur dernière agitation avant la quiétude et le silence imposés par le rideau levé et les lumières éteintes. Le public se préfigurait dans la salle inoccupée, car l’architecture remplissait son rôle d’œuvre. Elle faisait lieu.
Elle faisait lieu de théâtre, dès lors que la place du spectateur s’y creusait déjà. L’œuvre théâtrale, elle, n’était pas encore là. Le public seul et la salle ou le projet d’une pièce dont chacun connaît le texte par cœur ne font pas encore théâtre. Il manque cette complicité inaliénable entre l’acteur et le spectateur, manque, inexorablement, ce projet de communauté dont la réalisation s’actualise dans la co-présence, dans l’expérience accomplie de la réciprocité de l’Autre. C’est comme si le projet d’architecture tenait à sa capacité à faire de l’espace et du temps une opportunité pour localiser la rencontre avec l’Autre et que le projet de l’œuvre théâtrale retiendrait l’événement de la rencontre pour découvrir l’espace et le temps de sa fiction.
Réfléchissons aux convergences vers la notion d’œuvre dans les différents registres de la création. Pour déterminer les points de fuite construisant cette perspective, il faut chercher ce qui constitue le profil de l’œuvre, ce à quoi elle se reconnaît. C’est au fait que sa résistance opère. La résistance résulte des moyens inhérents que sa création oppose à un Monde subi. Parmi les acquiescements d’office auxquelles le monde d’aujourd’hui obéit, le plus insidieux demeure celui de programmer le contenu des textes, l’opportunité d’expositions ou de concerts, voire le débit de l’information, selon la réaction attendue du public. Or, la question de l’éducation, de la culture et a fortiori de l’œuvre est de donner les moyens pour construire une sensibilité nouvelle, sans prédétermination, qui conduit à la liberté. Hélas ! par un joli tour de passe, la communication nous renvoie ce à quoi l’on doit se reconnaître dans la culture, la figurant comme homogène tandis qu’elle est faite de divers, et, en prime, faisant aboutir cette sournoise assomption au mensonge de l’identité.
Les contextes qui activent cette résistance de l’œuvre sont esquissés et, lors de cette visite, comme il se doit, l’expérience est venue confirmer la théorie. Le discours politique, transparent à l’analyse, a commuté l’ambition de l’œuvre par l’ambition de l’adjoint à la Culture du Maire actuel (différent de celui qui l’a commandé) et par celle du Conseiller à la culture, jusqu’à présent programmateur du théâtre.
Le premier annonce, « Je n’étais pas d’accord car je n’aime pas le bois », le deuxième résume : « Mon mentor m’a appris que la Culture est un parking, une toilette (des toilettes) et un bar ». En feuilletant le programme, nous constatons que c’est en fonction de cette devise qu’il a fait la première programmation (fort heureusement, elle sera confiée désormais à la Scène nationale de Bayonne sud aquitain, la SNBSA).
Nous soupçonnons aussi que le personnel de sécurité syndicalisé et la bureaucratie de la Mairie s’occuperont de concrétiser d’autres amputations moins idéologiques mais bien réelles, comme l’accès à la jolie terrasse, faisant office de scène à l’air libre savamment posée par les architectes entre les plis de leur bâtiment et d’ores et déjà compromise. Très opportunément, la programmation, exclusivement « divertissante », quasi sans œuvres théâtrales brandit l’accessibilité au grand public tandis que les barrières à la perméabilité conçue par les architectes se lovent dans la sécurité. Dans cette obstruction d’accès aux œuvres, nous ne voyons que la paresse. Je l’avoue, dans l’approche théorique, l’amplitude de celle-ci m’avait échappée.
par Martine LOGIER, responsable des cartes blanches.
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