Sur le fil du texte : l’art de l’acteur, le jeu
Stage dirigé par Georges Bigot
Du 2 au 20 décembre 2019
Stage conventionné AFDAS
Sur le fil qui relie l’auteur, les partenaires et le public, l’acteur est comme le marin sur la vague, le skieur sur la piste: faire face à la pente pour maîtriser ses virages, ses arrêts, sa vitesse, ses allures; prendre la vague qui avance, réagir au vent, ne rater aucun des virages, tenir la barre du débit du texte, de sa scansion, respecter ses strophes, son rythme, ses mouvements comme un flux qui ne s’arrête pas. C’est en surfant sur ce fil qui relie qu’on est à l’endroit du jeu. Il est à saisir dans la maîtrise de tous ses présents successifs, quand la conscience s’embrase à travers le plaisir, la jubilation de la rencontre avec les spectateurs, avec les poumons de la salle, cette communion, cette osmose, voire cette transfiguration : quand par exemple dans les Shakespeare du Théâtre du Soleil, je jouais le rôle de Richard II sur la grande scène du Palais des Papes, je ne sais si je délirais, mais quand portées par nos voix non sonorisées, l’écriture du poète vibrait, dans cette cathédrale, ce temple de l’humain, nous recevions profondément les silences, les respirations, les éclats de rires, les rumeurs, en bref les réactions de tous ces spectateurs, réunis sous les étoiles de ces nuits des rois et nous jouions avec. Je me sentais alors transporté par ce souffle indéfinissable, qui ne t’appartient pas et que toi, acteur, traducteur, créateur, doit restituer par l’action du jeu, en te laissant traverser et mouvoir intérieurement par le texte, comme une partition à interpréter avec tes partenaires, en résonance avec le public afin que tous ensemble, tel un équipage voguant sur cette océan de présents, nous touchions au sacré d’une représentation théâtrale.
Sans l’exigence du travail spécifique de l’acteur, de sa capacité à recevoir, à écouter à entendre, à voir, à être visionnaire pour se placer à cet endroit du jeu, tout cela n’existerait pas. Tout cela n’aurait pas lieu, d’être!
Comment alors chercher en création et trouver cet endroit juste du jeu ? Sans s’arrêter à une seule forme d’expression ?
Mes aventures théâtrales au Théâtre du Soleil, aux Etats-Unis, au Mali, au Cambodge ont révélé combien des cultures bien différentes, des traditions archaïques qui croisent avec la modernité, des comportements, des usages distincts dans la vie ordinaire, s’enrichissent mutuellement quand ils rencontrent la scène, en partageant les mêmes endroits de jeu.
Et bien sûr il s’agit d’être pour pouvoir agir et réagir. C’est l’appréhension de son propre spectre physique et intérieur qui permettra à l’acteur de traverser toutes les zones d’ombre et de lumière d’un être humain, pour incarner le personnage avec ses haines, ses failles, ses joies, ses blessures, son amour, ses handicaps, ses éclairs, ses désirs, ses inventions, ses traumatismes. Il lui faudra puiser dans sa propre vision du monde et surtout dans son imagination pour donner vie au personnage et se rendre ainsi en mesure de traduire, de traiter aujourd’hui du petit au grand de grands thèmes de l’humanité, relatifs au pouvoir, au choix, à la peur… Sans oublier que ce n’est que par l’échange avec et pour le public qu’on trouvera la forme pour transposer une écriture théâtrale, qu’elle soit ancienne ou contemporaine.
Dès les premières répétitions l’acteur devra accepter de se laisser guider par la partition, le texte dans lequel toutes les indications du jeu sont inscrites. Un exemple dans Richard II, Richard dit: je pleure de joie d’être à nouveau debout sur mon royaume. Il ne suffira pas seulement de le dire, il faudra le vivre et quelle que soit la mise en scène avec forme de jeu ou non, l’acteur ou l’actrice jouant Richard II devra tout simplement pleurer de joie d’être à nouveau sur son royaume en disant les mots de cette phrase. Et ces pleurs ne seront reçus par les spectateurs que s’ils proviennent d’une vérité intérieure vécue et puis restituée à l’endroit du jeu par l’acteur. Imaginons qu’un metteur en scène souhaiterait orienter la pièce vers une interprétation différente et propose de faire de Richard, un sombre menteur qui à des fins stratégiques profiterait de son retour d’exil sur ses terres pour manipuler les foules de ses partisans. Il faudra néanmoins que l’acteur puise dans son fort intérieur une vérité assez forte afin que l’on croit à son mensonge. Pour bien mentir, pour être cru par ses partisans ou par le public, il lui faudra dire la vérité et donc vraiment pleurer de joie d’être à nouveau debout sur son royaume en le disant.
La recherche incessante de l’endroit juste du jeu, le provoquer, le trouver, résulte d’opérations parfois mystérieuses, mais qui s’éprouvent empiriquement et se partagent. Il m’est par exemple arrivé souvent de réaliser que des phrases qui me semblaient complexes, que je ne comprenais qu’intellectuellement à la lecture du texte, ne prenaient leur véritable dimension de sens qu’au présent de les dire sur le plateau. Ainsi, cette phrases écrite par Hélène Cixous pour Nehru dans L’indiade ou l’Inde de leurs rêves : Mon âme est un champ de bataille d’où ma pensée n’émerge qu’au prix d’un massacre de désirs. Je n’ai chaque fois saisi cette pensée, dont je ne pouvais fixer le sens, qu’au moment où, centré à l’endroit du jeu, je l’incarnais et la prononçais en éprouvant aussitôt sa profondeur universelle dans la continuité de sa résonance offerte en retour par le public.
Traduire en corps le texte nécessite de la pratique. Et quelque chose de cette expérience peut se transmettre. Telle est mon intention.
Qu’est-ce qu’un personnage ? Quel est le chemin qui mène l’acteur ou l’actrice au personnage ?
Nous devons sans cesse nous reposer ces questions.
Comment d’autre part, faire résonner les écritures par la transposition du jeu, dans une relation avec les spectateurs, et qu’il y ait un quatrième mur ou non.
Pour tenter d’y répondre, nous mettrons en regard l’écriture de William Shakespeare et celle d’Hélène Cixous.
Notre but est de répondre aux problématiques posés aux acteurs quand ils abordent un texte contemporain ou non, pour leur éviter trois écueils fréquents, celui de se réfugier dans les mots, celui de se cantonner dans une extériorisation purement formelle, ou encore celui de s’installer dans le confort peu exigeant de la convention.
Les grands textes exigent de l’acteur un dépassement de soi : il doit être visionnaire. Que ce soit dans les actes les plus intimes, ou les actes les plus grandioses ou sublimes, il s’agit toujours sur scène de passer par le chas d’une aiguille : accomplir dans ses moindres détails, des actions apparemment aussi simples que prendre le couteau, se laver les mains, décider de se poser sur le sol pour ne plus bouger, tout cela doit rester très concret, pour transposer par le geste et la parole les pulsions et passions intérieures qui animent le personnage en cet instant précis le poussant ainsi à agir. Se heurter par exemple aux murs de la prison, pour trouer les flancs de ce monde granitique, et n’y parvenant pas, crever de vanité et ainsi livrer des réflexions sur la vie, la mort, son règne, l’injustice du destin…
Etre plutôt que faire ou paraître : pour créer l’acteur a besoin dans la confiance d’ouvrir les portes de son jardin secret, de puiser dans son intimité, conscient ou inconscient. Nous ferons en sorte de créer ce climat d’écoute et de respect des différences de chacune et chacun, qui nous permettra ensemble d’accepter nos peurs, nos erreurs, pour oser s’aventurer. Car pour trouver il nous faudra vraiment accepter de se tromper, et ce n’est pas toujours facile! Il s’agira aussi de développer en soi cette faculté de porosité qui permet de recevoir et d’interagir. Ne pas résister à l’autre, à l’imprévu, mais l’accueillir pour faire feu de tout bois, c’est à dire se placer au bon endroit, se centrer, juste au présent, pour le plaisir de jouer ensemble.
Il lui faut être en état de jeu, pour être voyant, pour matérialiser ce qui est abstrait et, traduire les passions et les pulsions humaines. Pour cela nous mobiliserons les muscles du corps, de la voix et surtout la faculté d’imagination propre à chacun.
Traduire l’écriture par le jeu pour que le public puisse lui-même se projeter et se reconnaître y compris dans le personnage le plus sordide, bête et salaud. Prendre à bras le corps, et à cœur, les enjeux en les exacerbant par des états intérieurs forts pour transposer toute cette humanité qu’il faut savoir chercher dans des personnages comme Macbeth, et peut-être parvenir à susciter quelque catharsis.
Pendant sa période de formation de 1974 à 1980, Georges Bigot a joué sous la direction de Mario Naldi (Le Seigneur des Andes de M. Naldi), de Jacques-Henri Mirat (Le Livre de la Jungle d’après R. Kipling), de Franco Zefirelli, (Lorenzaccio de Musset à la Comédie Française), de Carlos Vitig-Montero (In America Cuicatl de Xavier Pomeray et Dissident ? Il va sans dire de Michel Vinaver).
De 1981 à 1992, il a été un des acteurs phare du Théâtre du Soleil. Sous la direction d’Ariane Mnouchkine, il y a incarné de façon marquante les rôles du Roi Richard II, (Richard II, du Duc Orsino (La Nuit des Rois), du Prince de Galles, (Henri IV»), du Prince Sihanouk (L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk roi du Cambodge* de Hèlène Cixous), du Pandit Nehru (L’Indiade, ou l’Inde de leurs rêves de Hèlène Cixous,), et enfin il a joué dans Iphigénie à Aulis d’Euripide, Agamemnon et Les Choéphores d’Eschyle.
En 1986, il reçoit le Prix du meilleur acteur, pour le rôle du Prince Norodom Sihanouk, décerné par le Syndicat National de la Critique.
Depuis 1992, il a joué sous la direction de Jean-Paul Wenzel (Figaro divorce d’Ödön von Horváth), de Stuart Seide (Le Grain et la balle* d’après Beckett), de Claire Lasne (Les Nouveaux Bâtisseurs de Mohamed Rhouabi), de Laurent Laffargue (Sauvés d’Edward Bond, La Grande Magie d’Edouardo de Filipo et Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux), de Declan Donnellan (Le Cid de Corneille), de Simon Abkarian (Titus Andronicus de Shakespeare, Pénélope Ô Pénélope de S. Abkarian), de Paul Golub (L’Illusion comique de Corneille), de Christophe Rauck (La Vie de Galilée de Brecht ), de Philippe Adrien (La Mouette de Tchekhov), de Wajdi Mouawad (Ciels de Wajdi Mouawad), et de Laurent Pelly (Mangeront-ils ? de Victor Hugo, L’Oiseau vert de Carlo Gozzi et La Cantatrice chauve de Ionesco, Béatrice et Benedict Opéra de Hector Berlioz, Les oiseaux d’Aristophane).
En 2006, il danse dans le duo L’Histoire de l’ombre de Philippe Ducou.
Il a mis en scène : Kalo avec Maurice Durozier ; La Dispute de Marivaux, Ambrouille écriture collective, Embedded de Tim Robbins et co-dirige Le Pic du Bossu de Slawomir Mrozek et 9 de Stéphane Guérin avec Le Petit théâtre de Pain ; Le Retour de Bougouniéré et Ségou Fassa de Jean-Louis Sagot Duvauroux avec l’Atelier Bamako (Mali) ; La Mouette de Tchekhov et Ail ! d’Hélène Cixous avec la compagnie The Actor’s Gang (Tim Robbins) à Los Angeles ; C.A.F.I de Vladia Merlet ; L’histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge (Première et Deuxième Époques) d’Hélène Cixous créee au Cambodge, pour le festival d’Automne de Paris, le festival Sens interdits théâtres des Célestins Lyon, Festival des francophonies de Limoges ; Macbeth de W.Shakespeare avec la troupe Theater Y à Chicago et enfin Ail ! (nouvelle version) d’Hélène Cixous, avec Mô Teatre (Menorca, Espagne)
Il a été professeur associé à l’Université de Bordeaux III de 1993 à 2001. Il a dirigé une classe d’improvisation au CNSAD de Paris de 2004 à 2006 et a été professeur à l’Académie de Limoge de 2009 à 2011. Il a dirigé de nombreux stages pour acteur à travers le monde (Los Angeles, Fortaleza, Crato, Salvador de Bahia, Singapour, Bamako, Battambang et Chicago) ainsi qu’en France dans des C.D.N ou C.D.R (Bordeaux, Poitiers, Montluçon, Toulouse)
Son esprit d’aventure l’a conduit à diriger le festival de théâtre Les Chantiers de Blaye durant six années de 1996 à 2001.
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