Une pétition signée par plusieurs centaines de responsables de musées, Frac, fondations, écoles et centres d’arts vient d’être lancée, deux jours seulement après la tribune publiée dans le journal Le Monde : « L’art est contagieux, rouvrons les musées ! », dans laquelle Stéphane Bern, Florence Belkacem, Carla Bruni-Sarkozy ou encore Elsa Zylberstein posent cette question : « Pourquoi maintenir les musées fermés si l’on n’y mange pas, n’y boit pas, n’y fume pas, n’y touche rien, si l’on n’y parle peu et si l’on s’y croise à peine ? »
Les signataires de cette nouvelle pétition, discrètement publiée sur un site spécialisé, réclament une réouverture prioritaire, dès que possible des établissements, même si elle ne doit concerner qu’une partie des espaces et même s’il faut en passer par un renforcement du protocole sanitaire et une jauge encore plus réduite.
La directrice du Palais de Tokyo, Emma Lavigne, qui a pris la plume, souhaite faire passer un message d’urgence : « Inventer une autre façon, certainement plus souple, de répondre à cette crise que de vivre des mois de fermeture et de silence« .
Pourquoi lancer cette pétition maintenant ?
Nous attendons toutes les semaines l’évolution de la situation sanitaire pour savoir quand nos institutions pourront ouvrir ou entrouvrir leurs portes. Nous avons décidé de faire entendre nos voix et c’est surtout notre envie d’être des acteurs et de ne plus être dans une forme de passivité. On ne sait pas combien de temps cette crise va durer.
Nous voulons affirmer notre rôle d’engagement, notre rôle social et essayer d’accueillir des visiteurs selon des protocoles extrêmement précis qui ont déjà été mis en place lors du premier confinement et lors de notre première réouverture au printemps. Nous estimons qu’il y a urgence dans ce moment où les individus sont très perturbés par cette crise qui n’en finit pas.
Nous avons souhaité ne plus attendre, ne plus se poser uniquement la question de « quand on va rouvrir », mais de pouvoir imaginer avoir un rôle d’acteur de l’éducation, de solidarité sociale. Et donc, dès maintenant. Le président de la République a véritablement affirmé qu’il entendait la souffrance des étudiants et qu’il réfléchissait à ce que les étudiants puissent aller une journée par semaine dans les facs ou dans les écoles. Cela nous paraît très important aussi, pour le Palais de Tokyo et pour toutes les autres institutions en France, d’inventer de nouvelles façons de s’adresser à nos publics, in situ, et pas uniquement en vision numérique. Sachant que nous ne sommes pas confinés, que les gens circulent dans les transports en commun, dans les métros, dans les trains, dans les bus, que nos institutions sont des établissements recevant du public qu’on appelle « circulant », c’est-à-dire que le public ne stagne pas, ne touche à rien, nous faisons ce pari.
Nous sommes convaincus que nous sommes tout à fait en mesure d’ouvrir dans des circonstances sanitaires absolument optimales et sans aucun risque.
« Moins une pétition qu’une lettre ouverte » en vue d' »un nouveau modèle »
Votre initiative s’est-elle faite au regard de ce qui passe actuellement à l’étranger et notamment de la réouverture des musées en Italie ?
Notre initiative est moins une pétition qu’une lettre ouverte ou décadenasser la parole et qu’on s’autorise tous à s’exprimer et à inventer finalement un nouveau modèle. Quand nous avons lancé cette lettre ouverte, nous ne savions pas encore que l’Italie allait, notamment dans certaines régions, ouvrir certains musées. Mais, alors que la ministre de la Culture affirme que nous sommes tous à la même page, en Europe, nous savons qu’en Italie, en Espagne, en Belgique, au Luxembourg, il y a des modalités qui ont une sorte de flexibilité.
Je pense que cette crise nous invite à être extrêmement créatif et à ne pas être tous dans le même bain. Nous sommes, bien sûr, en totale solidarité avec nos collègues du spectacle vivant, des cinémas, mais je pense qu’il faut qu’on accepte qui il y ait peut être des « go ! » quant à la réouverture qui ne soit pas exactement au même moment. On ne peut pas tous être dans un pot commun. Il faut vraiment que chaque spécificité soit entendue. L’Italie donne un véritable espoir et comme on le dit dans cette lettre ouverte, on est prêt à ouvrir pour un week-end, pour une semaine, pour un mois, pour quelques heures par jour. Nous avons la chance en France d’avoir un soutien très généreux de l’État. Nous voulons faire fructifier ce soutien et ouvrir nos portes ou les entrouvrir.
C’est vraiment un message d’urgence que l’on souhaite faire passer : inventer une autre façon, certainement plus souple, de répondre à cette crise que de vivre des mois de fermeture et de silence.
Attendez-vous des garanties sur la promesse de Roselyne Bachelot d’une réouverture prioritaire de votre secteur et êtes-vous prêts à des efforts supplémentaires pour l’accueil du public ?
Nous attendons la mise en place très concrète de cette promesse. Nous espérons pouvoir rouvrir dès que possible. Tant que les écoles sont ouvertes, que les commerces sont ouverts, nous devrions pouvoir ouvrir. Les lieux de culte sont ouverts. Pourquoi pas les musées ? Je crois que les musées, les centres d’art, les FRAC sont justement des lieux qui peuvent proposer des expériences et des antidotes à cette crise morale et sanitaire sans précédent.
Et oui, nous sommes prêts à rajouter encore des paramètres sanitaires, même si, évidemment, tous nos protocoles ont été validés de façon très stricte, lors du premier confinement. Nous pouvons réduire encore les jauges s’il le faut, mais nous sommes quand même déjà dans des conditions très, très, très sérieuses pour accueillir les visiteurs. Il ne s’agit absolument pas d’envisager ce partage sensible de l’art et de la création comme une prise de risque et peut-être pas non plus comme une évasion, mais comme une prise de conscience. Et nous souhaitons faire résonner la voix des artistes qui nous ont fait confiance, qui ont créé des œuvres pour certains. C’est donc toute une chaîne de très grande solidarité que nous avons envie d’activer en entrouvrant nos portes.
C’est un besoin vital ?
Cela commence à devenir véritablement un besoin vital. Il y a quelque chose qui peut être pernicieux dans ces mois de fermeture parce qu’avec nos institutions nous participons aussi d’une certaine vie économique et culturelle. Nous sommes un des acteurs de la culture comme un champ, si je puis dire aussi, qui permet une vitalité très, très forte.
« Cela commence à devenir véritablement un besoin vital »
Nous sommes aussi engagés dans le champ de l’éducation. Nous avons tous noué des réseaux très forts avec de nombreuses structures, que ce soit des structures scolaires ou des associations dans le champ social qui sont en très grande souffrance et qui ont aussi besoin d’échappatoire. Je pense aux publics en très grande fragilité et en situation d’exclusion.
A défaut d’affirmer un rôle économique, nous souhaitons aujourd’hui affirmer notre rôle en tant qu’acteurs dans le champ de l’éducation, de la médiation, du mieux être. Ce sont ces espaces sensibles qui nous appartiennent à tous que nous souhaitons pouvoir rouvrir dans les meilleurs délais.
Il y a quelque chose de très violent dans cette crise et qui concerne bien sûr aussi tout le travail de préparation, tous ces budgets et tous ces espoirs que l’on met dans la réalisation d’une exposition, d’un projet. Il y a une sorte de cristallisation d’énergie qui aboutit quand on peut partager ces expositions et ces projets avec nos publics. Et donc, on crée quelque chose qui devient une forme statique ou une forme quasi morte. Bien sûr, il y a les réseaux sociaux. Il y a tout le numérique qui a pris une place immense. Mais cette transition, si elle peut avoir des effets bénéfiques, elle est aussi dangereuse.
Cela nous paraît essentiel que cette perception sensible de l’art dans nos espaces soit, véritablement privilégiée tant que les gens ont cette liberté de circulation. Le ministère de la Culture a lancé une très belle opération l’été dernier, qui s’appelait « l’été culturel et apprenant ». L’accent avait été mis justement dans des formes de solidarité et d’accueil de certaines personnes éloignées du champ de la culture. Et nous appelons donc de nos vœux une forme de divers culturel, apprenant et solidaire dans ce moment particulièrement difficile.
Votre pétition n’a été publiée officiellement dans aucun média, contrairement à la tribune « L’art est contagieux, rouvrons les musées ! » exposée ce week-end dans le journal Le Monde. Pourquoi avez-vous fait ce choix de communication discrète et pas frontale, en tous cas vis-à-vis du ministère de la Culture ?
Nous ne sommes pas en position frontale en fait, il ne s’agit pas d’être contre, mais il s’agit de relayer des paroles qui sont comme un petit peu arrêtées par ces fameux masques. C’est comme si, finalement, on n’osait pas assez échanger. Et là, nous sommes plusieurs donc, aussi bien avec les Frac, les centres d’art, des musées en région, les écoles d’art, à se dire que nous souhaitons aussi nous affirmer de façon très constructive avec le ministère. Nous souhaitons qu’une politique culturelle existe, même pendant la pandémie.
Et il va falloir commencer à échanger pour essayer de fédérer nos actions. On a vu ces derniers jours en effet différentes initiatives. Il y a aussi la tribune lancée par les Frac pour le soutien financier aux artistes. Nous sommes évidemment tous solidaires les uns des autres. Et je crois que c’est ce caractère un peu spontané qu’il faut souligner comme un moment ou peut-être les mots du chef de l’État, en ce qui concerne justement cette prise en compte de nos états émotionnels, nous a certainement autorisé à lancer des tribunes et des lettres ouvertes de façon non concertée. Mais évidemment, tout cela converge exactement dans le même sens. A un moment de réflexion quant à l’art thérapie, le mieux-être par l’art se développe dans beaucoup d’institutions, Il nous semble important de ne pas attendre la fin de la pandémie pour jouer notamment ce rôle auprès de nos publics, auprès des étudiants, auprès de nos visiteurs.
Nous sommes nombreux à penser que dès l’instant où des écoles sont ouvertes, les lieux de culture doivent aussi être ouverts. Ce sont vraiment des piliers très constitutifs de la psyché humaine. Et nous offrons aussi des réflexions qui permettent de se projeter, de s’évader, de rêver, de prendre conscience. Et donc, je crois que nous ne pouvons pas partager de façon indéfinie cette expérience par le numérique. Elle est formidable, mais dès l’instant où les individus peuvent continuer à circuler, ils peuvent continuer à se promener dans nos établissements.
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